Black Mountain, texte de Brad Birch, traduction de Guillaume Doucet, mise en scène, régie et jeu de Bérengère Notta, Alice Vannier  et David Maisse.

Crédit photo : Caroline Ablain.

BLACK MOUNTAIN / GROUPE VERTIGO

Black Mountain, texte de Brad Birch, traduction de Guillaume Doucet, mise en scène, régie et jeu de Bérengère Notta, Alice Vannier  et David Maisse.

 Après les spectacles Nature morte dans un fossé et Pronom, le Groupe Vertigo s’est penché sur Black Mountain, un thriller psychologique et une pièce récente du jeune auteur britannique Brad Birch, écrivain en résidence au Théâtre Undeb, détaché à la Royal Shakespeare Company et auteur associé au Théâtre national de Londres.

La création a eu lieu à La Passerelle de Saint-Brieuc, et le collectif évoque Black Mountain, tel un petit bijou théâtral en équilibre instable sur un fil tendu à l’extrême, près de basculer vers le thriller d’horreur ou la dissection des relations humaines.

A partir même de cet indéfinissable trouble incertain, dont le public est complice, surgissent l’humour et la liberté d’invention, depuis une situation initiale fort claire.

Un couple dont l’homme a trahi la femme, s’isole dans une petite maison rudimentaire, un peu isolée dans un village de montagne, histoire d’échanger et de parler enfin, de faire le point – se quitter définitivement ou renouer ensemble.

Il semblerait que l’homme souhaite la seconde solution, la femme restant « muette ».

Or, peu à peu, monte la tension : on ne sait qui manipule l’autre, d’autant que la maîtresse s’invite, en se cachant des yeux de la femme dans la remise à jardin.

La pièce s’articule sur cinq journées dont le décompte est donné au public à travers un petit écran lumineux malicieux et surélevé, qui indique le temps et l’espace :

le matin, le soir, la nuit, la chambre, la cuisine, devant la remise à jardin…

Les scènes privilégient l’intérieur ou bien l’extérieur d’un chalet montagnard aux parois de bois lambrissé – un dépaysement choisi qui se départit des bruits citadins au profit du vacarme effrayant et indifférent des arbres qu’on coupe généreusement.

Les scènes sont brèves, alternant d’un lieu et d’un moment à l’autre ; les noirs, sur la scène et dans la salle qui correspondent à ces changements, font monter le mystère.

L’attente et le suspens s’en trouvent décuplés, soumis à cette partition dramaturgique savante et préétablie d’un temps rigoureusement compté, dans lequel prennent place des balades en montagne, dans des hauteurs froides et enneigées que l’homme n’apprécie guère mais que la femme, en échange, goûte à plaisir.

De petits signes infimes intriguent le spectateur – doute, suspicion ou éclair fugitif de compréhension soudaine et de lucidité clairvoyante -, quant aux intentions des deux.

Remarquablement interprétée par Bérengère Notta qui s’amuse peu à peu de sa patience et de son désir souriant de conciliation toujours renouvelé, la femme ne fait-elle pas sciemment la proposition de promenade en montagne pour faire souffrir l’homme dont le manque de chaussures adéquates est pour lui une torture ?

Sourd un désir latent de vengeance et de faire payer par la douleur celui qui a trahi.

L’homme est-il vraiment engagé à « réparer » la trahison et à recommencer mieux ?

Pourquoi la maîtresse surgit-elle à l’improviste, lui demandant des comptes et espérant le faire revenir avec elle en ville, pour qu’il lâche finalement la première ?

L’homme que joue David Maisse est incertain au possible, toujours d’accord avec les propositions de sa femme et perdu encore quand survient l’amante à l’improviste, jouet dans les mains de ses deux compagnes, ne sachant vers laquelle se tourner.

Alice Vannier – metteure en scène heureuse d’En réalités d’après La Misère du monde de Bourdieu – joue le rôle de la nouvelle élue du cœur de l’homme, tenant son rang de figure facétieuse, un rien étrange et inattendue. Serait-ce elle qui aurait pris la hache qui était rangée soigneusement dans la remise, et à quelles fins ?

C’est l’homme qui fait le témoignage de la disparition soudaine de cet outil coupant.

Les dialogues sont amorcés, non menés jusqu’au bout exactement, non aboutis, désarticulés dans une succession de répliques où, à la fois, rien ne se dit manifestement et tout se dit implicitement – l’impossibilité de rendre compte des dégâts sentimentaux essuyés, la blessure subie et la difficulté de s’en remettre.

Entre les protagonistes, les phrases ne se terminent pas, les échanges croisés sont manqués, comme détournés, empêchés et coupés, et comme si l’essentiel ne pouvait être jamais formulé – s’aimer ou ne pas s’aimer toujours. S’enclenche, irréversible, le jeu énigmatique, vide et insatisfaisant des répétitions et des redites.

Soit la façon banale et quotidienne de parler et d’échanger – une impasse consentie.

Le trio des trois comédiens joue à plein la folie entêtée des êtres à vouloir se trouver.

Véronique Hotte

Spectacle vu au Centre culturel Athéna à Auray (Morbihan), du 11 au 14 février. DSN Dieppe (Seine-Maritime), du 19 au 23 mai.