Le pire n’est pas (toujours) certain, texte et mise en scène de Catherine Boskowitz.

 

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Le pire n’est pas (toujours) certain, texte et mise en scène de Catherine Boskowitz.

 La metteure en scène et dessinatrice, artiste (toujours) engagée dans le monde présent, a écrit le texte de son dernier spectacle Le pire n’est pas (toujours) certain.

Une écriture motivée, déterminée et décidée qui a fait suite à un séjour de plusieurs semaines à Thessalonique où la conceptrice s’est rendue, à l’accueil des réfugiés venus du Moyen-Orient et suite à la route empruntée au retour à travers les Balkans.

La version finale a ainsi été élaborée à partir du journal de bord rédigé au long d’un séjour en Grèce et pendant le retour sur la route de Thessalonique à Bobigny, en passant par Skopje, Belgrade, Budapest et Vienne, Vienne étant la ville à atteindre.

Les personnes rencontrées sur le chemin – exilés, réfugiés ou activistes – sont entre autres, les figures principales du spectacle : les protagonistes, Waël, Jumana, Abdoukarim, Michel le délégué européen aux affaires migratoires, les activistes.

Avec les acteurs Marcel Mankita, Nanténé Traoré, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Andreya Ouamba et Catherine Boskowitz, et sur la musique de Jean-Marc Foussat.

Des histoires se nouent ici et là, des contes intimes, des incidents de parcours obligés, dus aux sentiments, aux émotions, aux rêves et craintes des êtres en vie.

Une histoire de sensibilité et de raison des héros dits Frères migrants, titre de l’ouvrage de Patrick Chamoiseau, comme l’histoire de l’être existentiel quel qu’il soit.

Nous pensions « que nous n’avions en quelque sorte pas vraiment à nous plaindre, et que les temps barbares étaient d’un autre temps que le nôtre. Cette réussite incontestable nous autorisait à marginaliser ces éruptions (d’un vif d’oxyde et de cadmium) qui se manifestaient de-ci de-là, insistaient, persistaient, s’épanouissaient en brutalités à Lampedusa Malte Soudan Erythrée Lybie… en Syrie où Alep abandonnée de tous n’est plus qu’une imprescriptible accusation de tous, dans la Méditerranée tout entière, aux portes restées closes du sanctuaire de l’Europe… »

Le spectacle de Catherine Boskowitz se révèle convaincant et persuasif, comédienne qui, depuis la scène, harangue la salle vertement, incarnant la bonne conscience repue et méfiante de l’Europe – vache beuglante, cornes levées et poitrine épanouie -, porte-parole de la vox populi populiste et nationaliste – dérision.

Sur le plateau, s’accomplit avec bonheur un pari politique, éthique et esthétique, particulièrement audacieux et difficile car, comment rendre la violence et la misère au quotidien des migrants forcés à cet acte à la fois personnel et collectif, initiateur d’une vie autre, peut-être meilleure, un acte radicalement empêché par l’Administration et la Police de certains Etats coercitifs – Hongrie, Bulgarie, Serbie ?

Sur scène, un plateau vaste et nu avec quelques rideaux que l’on roule ou déroule, des paravents de plastique transparent qui laissent passer la lumière, des bouteilles en plastique de toute taille rassemblées sur une table, exposées ensuite sur la scène ; une table et des chaises pour les entretiens avec les activistes, les délégués européens aux affaires migratoires, deux draps pour signifier un abri de migrante.

Est exposée crûment la pauvreté des moyens « mis en place » – métaphore de la condition migratoire -, là où subsiste encore et malgré tout, l’humanité des êtres, confrontée physiquement et symboliquement à la condition animale et bestiale où on aimerait la réduire en fermant les yeux, en dépit des résistances et des obstacles.

Tous les comédiens s’essaient avec brio à jouer la condition canine, aboyant leur douleur, grognant leur souffrance, levant la patte et se grattant impulsivement l’oreille, démontrant que la bête a ses réflexes et sa logique à soi – une vie de chien.

L’homme n’est pourtant pas une bête mais un être à dimension existentielle. Danse, acrobatie, les chiens sont physiquement bien plus performants que l’homme, et les acteurs le prouvent prestement, capables aussi de chanter et jouer le chœur antique.

D’un rôle à l’autre, tous se glissent dans les entrelacs d’une population niée mais résistante, flexible et vivace, jouant la carte de l’optimisme – l’élan premier de la vie.

La fée Clochette, quand elle n’est pas clown au nez rouge et apte à dire ses quatre vérités au public interpelé et amusé, est présente pour trouver compromis et arrangements, prête à entendre et à comprendre, et à trouver une juste mesure.

Beaucoup de fantaisie narrative donc, et de créations plastiques sur le sol, au départ, avec le tracé des lignes à ne pas franchir, des frontières à ne pas outrepasser ; puis sur les panneaux suspendus de plastique, les dessins, tags et slogans esquissés à la peinture blanche et de couleur ensuite, sans oublier les masques africains et orientaux. Sans oublier l’art de la marionnette – figurines miniaturisées des migrants.

Les masques sont construits avec Khalid Adam, Aboubakar Elnour, Kosta Tashkov et Ali, Hussein, Habib, Philip, Azari, Algassimou, Yassine, Kacem, Ejaz, Abdoulaye, Festu, Djuma, résidents demandeurs d’asile du Foyer Oryema à Bobigny.

Un spectacle politique fort dont l’invention dramaturgique et scénographique a su trouver son unité théâtrale –  une belle projection scénique, plastique et poétique.

Véronique Hotte

MC93 – Maison de la Culture de Seine Saint-Denis à Bobigny, 9 boulevard Lénine 93000 – Bobigny, du 11 au 21 décembre, mardi, mercredi et jeudi 19h30 (sauf jeudi 19 décembre 14h30), vendredi 20h30, samedi 18h30, dimanche 15h30. Tél : 01 41 60 72 72.