Rien ne se passe jamais comme prévu, texte de Kevin Keiss, mise en scène de Lucie Berelowistch.

Crédit photo : Simon Gosselin.

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Rien ne se passe jamais comme prévu, texte de Kevin Keiss, mise en scène de Lucie Berelowistch.

Monter un conte contemporain musical est le projet de la metteuse en scène Lucie Berelowitsch – directrice du Préau – Centre dramatique national de Normandie-Vire -, collaborant de près avec le dramaturge Kevin Keiss dont l’écriture inspirée a su se couler à la fois à bon escient et avec grâce dans les improvisations éclairées des acteurs.

L’Oiseau de feu – conte du substrat oral russe, collecté au milieu du XIX è siècle par Alexandre Afanassiev, puis rendu fameux dès les années 1910, grâce à l’œuvre éponyme d’Igor Stravinsky – a inspiré Rien ne se passe jamais comme prévu.

Dans L’Oiseau de feu, un roi, père de trois fils, tire sa fortune d’un pommier d’or. L’arbre pillé, il demande à ses fils de trouver le coupable. Ivan, dernier fils et simple d’esprit des contes russes, surprend l’oiseau de feu voleur dont  lui reste une plume.

Le père attiré promet son royaume à celui de ses fils qui se saisira de l’oiseau. La quête conduit Ivan dans la forêt où il rencontre un étonnant loup gris qui l’oriente.

Il traverse, sous son aide, trois fois neuf royaumes, revenant même d’entre les morts.

L’auteur contemporain s’inspire précisément des blancs et des vides d’Afanassiev, en respectant la puissance orale et symbolique des contes : une famille sans mère, un père soupçonneux et dubitatif, quant aux certitudes de son mystérieux fils Jonas.

Au village Bord-Lac d’où le lac a disparu et qui se réduit aujourd’hui à ne représenter que la lointaine banlieue d’une grande ville, vit une famille qui possède le dernier pommier dans un monde où la végétation se fait rare et où les oiseaux ont disparu.

« Malgré notre obstination, notre famille est plutôt pauvre. Mais nous possédons un arbre… Un pommier. Un pommier au tronc étroit et aux feuilles argentées. L’un des derniers pommiers. On nous respecte pour cet arbre… Et parfois même, c’est rare mais cela arrive encore, parfois même, le pommier donne une pomme d’or… »

Variante du conte originel, c’est l’aîné des trois fils, Jonas, qui se souvient des récits fantastiques de leur mère disparue. Il attend le retour des oiseaux et surprend l’oiseau de feu qui dérobe la pomme d’or, laissant  tomber une feuille incandescente.

Le voilà parti dans la forêt où il croise la fille-louve : « La nuit n’est pas reparue et les forêts ont brûlé… Je ne viens pas de la forêt, je viens d’un monde en feu. Cette forêt – notre forêt – a poussé grâce à mes chants. Puis dans mon rêve, tu es soudain là. »

Difficile de ne pas voir dans ce conte théâtral la dimension tragique de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (1986) qui a rasé toute trace ou résidu de la Nature, brûlant jusqu’à des abîmes improbables toute velléité de vie ou de renaissance printanière.

La mise en scène de Lucie Berelowitsch est captivante, davantage dans la première partie, où le public est confronté à l’intérieur d’un foyer modeste – une cuisine avec appareils ménagers, des machines à laver et un frigo – situé presque dans la fosse.

La mère est présente, avant sa disparition prochaine dans la sombre forêt, fumant élégamment une cigarette, vêtue d’une robe rouge seyante, racontant ses histoires enfantines avant le coucher de ses trois enfants dont l’aîné paraît énigmatique.

La comédienne et chanteuse Marina Keltchewsky dans le rôle d’une mère inspiratrice de vie et de rêve, est éloquente, illuminant la scène de sa voix pure, à travers des chants populaires et traditionnels, Elle sait s’imposer et se faire écouter.

Et les enfants sont facétieux, comme il se doit, turbulents, et en quête d’une vie pétillante aux amusements sûrs : Mathilde-Edith Mennetrier est Macha, fille joyeuse, une poupée blonde décidée, appliquée à expliquer sa quête et celle de ses frères.

La sœur aime d’amour ses deux frères, Vladimir d’un côté, qu’incarne avec brio Nino Rocher, acrobate et joueur, malicieux et imprévisible, plein d’allant et de raison. Et de l’autre, l’étrange Jonas – Jonathan Genet -, à la figure christique mélancolique.

N’oublions pas le père qui surveille la fratrie avec maladresse mais sentiment aussi,. Jean-Louis Coulloc’h, dans le rôle est on ne peut plus convaincant, livrant une écoute passive, une attention patiente qui peut se transmuer en colère incontrôlable.

La création sonore de Sylvain Jacques, musique concrète en multidiffusion, accompagnée de Grégoire Léauté à la guitare électrique, intensifie musique et mots.

La scénographie d’Hélène Jourdan invite le public à pénétrer dans la vie familiale avec guirlandes et fanions – une ambiance festive de repas dans un quotidien cassé.

S’élèvent, dans la deuxième partie du spectacle, les murs-paravents en angle qui figuraient la cuisine pour que surgisse l’immensité aérienne d’une forêt avec rochers.

Là, vit et règne la fille-forêt ou fille-louve aux beaux yeux clairs et à la fourrure sauvage, qu’interprète Dea Liane avec tout le beau talent qu’on lui connaît.

Ce volet de la représentation s’avère plus lent et semé d’obstacles, suivant Jonas dans les méandres du paysage et de son aventure existentielle que la fatalité interrompt.

Il n’en demeure pas moins que le conte scénique tonique libère une impression de joie et de lutte humaniste pour la vie et la défense de la nature – un engagement.

Véronique Hotte

MAC – Maison des Arts de Créteil, du 10 au 12 décembre. Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale, les 19 et 20 décembre.

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