Dear Life, conception et mise en scène de Wang Chia-Ming. Spectacle en mandarin surtitré en français. Avec Le Festival d’Automne à Paris.

Crédit photo : Yueh Yueh Liu.

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Dear Life, conception et mise en scène de Wang Chia-Ming. Spectacle en mandarin surtitré en français. Avec Le Festival d’Automne à Paris.

 Fondateur et directeur du Shakespeare’s Wild Sisters Group, le metteur en scène taïwanais Wang Chia-Ming explore le théâtre expérimental – une griffe personnelle.

Ses créations mettent en valeur la fusion scénique entre tradition et innovation, entre culture populaire et avant-garde, privilégiant les formes nouvelles d’expression contemporaine dans une collaboration avec des artistes de toutes disciplines.

Wang Chia-Ming se ressaisit de l’art du théâtre – espace vide et usage de la voix.

Le projet Dear Life invite le public au récit scénique de quatre vies sur deux heures.

Les histoires de la nouvelliste canadienne Alice Munro – prix Nobel de littérature 2013 – retiennent l’attention du dramaturge, des récits installés souvent dans le sud-ouest de l’Ontario et dont les personnages sont d’origine écossaise et irlandaise.

Wang Chia-Ming transpose les quatre vies choisies dans une proximité taïwanaise.

Des images précises et lumineuses, mises en relief sur un fond sombre et nocturne scénique. La narration est portée par une actrice, assise à cour, souvent à une table qu’éclaire une lampe de chevet. Et la langue théâtrale se fait lyrique, sobre, en vue de la révélation éclairée des gens ordinaires – des miniatures de la société.

Des miniatures significatives qui intéressent à la fois l’auteure et le dramaturge. La matière temporelle rappelle que le théâtre reproduit la vie intense et sa symbolique – ici et maintenant -, d’où l’entrée et la sortie du spectacle par une minute de silence.

La durée scénique est expérimentée et ressaisie dans l’espace, à travers les sens.

Ainsi, sont ressentis, à travers la représentation, les rebondissements de l’intrigue, le rythme, le climax, l’émerveillement face aux images, l’étonnement des sons et des musiques convoqués, une pensée critique et politique, des émotions salutaires.

Plutôt que préciser l’intrigue, la mise en scène détaille l’environnement et les objets.

Chacune des quatre histoires est menée par un personnage féminin, et les temporalités y sont différentes, l’une est conduite par trois époux successifs, une autre dure un après-midi, la troisième est rythmée de chansons et de souvenirs des différentes étapes d’une vie, et la quatrième se déroule dans la ville de Taoyuan.

Une fois posés, la topologie, le climat, l’histoire et la culture, les sensations diffèrent.

L’art de la cuisine chez l’un des maris, la préparation savoureuse et épicée de bons petits plats poivrés du Setchuan, et la joie de vivre des humbles. Le souvenir par l’épouse d’un trajet en bus pour se rendre à l’usine, frigorifiée dans le froid matinal, qui n’en compte pas moins les jolis étangs ou les lacs qui jalonnent le parcours.

Des hommes tiennent la rambarde de l’habitacle du bus, titubant et se balançant.

A lieu la rencontre d’un autre mari qui place son argent dans l’immobilier et s’enrichit.

Le souvenir d’une sœur aînée – née quelques instants avant une autre, fausse jumelle – qui voyait cette autre « différente » avec condescendance, ne lui rendant pas visite à son travail, comme elle le lui demandait, et qui choisit de quitter la  vie.

Surviennent d’anciens camarades de lycée qui s’adonnent aux stupéfiants de l’époque – la super glue, le Roi singe, la N°4 et la poudre blanche. L’art du tatouage et de la grue en papier – la figure emblématique de l’origami au Japon. La noix de bétel que l’on mâche, le « chewing-gum taïwanais » prisé des milieux populaires.

Est présente aussi la Maison des couleurs des marionnettes – les célèbres marionnettes à fils -, une scène sculptée dans du bois dont la taille se mesure avec la règle de Luban, un outil qui permet de déterminer la mesure pour les plus heureux auspices. Le petit bâtiment de bois des marionnettes ressemble à un autel divin.

Des chiens, portant masque et queue, errent sur le plateau, tenus par leurs maître.

Et la neige tombe sur le plateau dont le lointain est mis en perspective – une pianiste qui joue de son instrument et les comédiens qui sont au repos, assis à des tables -, séparé par une suite de paravents dépareillés – portes, fenêtres, ouvertures -, une ligne horizontale de panneaux transparents derrière lesquels on devine des ombres.

La dramaturgie alterne les portraits individuels et les portraits de groupe, musiques traditionnelles et musiques enregistrées d’aujourd’hui, sur lesquelles chacun danse.

La bonne humeur et le goût de vivre, au-delà des misères, s’élèvent depuis la scène.

Les acteurs sont nombreux, isolés ou formant un chœur, dansant, chantant, sur un plateau éloquent et habité par ce temps exigé du théâtre où est expérimentée une durée intense d’existence, par les acteurs qui jouent et par le public qui regarde.

Véronique Hotte

MAC Maison des Arts de Créteil – avec le Festival d’Automne à Paris, du 28 au 30 novembre 2019.Tél : 01 45 13 19 19 / 01 53 45 17 17.