21 rue des Sources, texte et mise en scène de Philippe Minyana (Editions de l’Arche 2017), musique de Nicolas Ducloux.

Crédit photo : Eric Didym

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21 rue des Sources, texte et mise en scène de Philippe Minyana (Editions de l’Arche 2017), musique de Nicolas Ducloux.

Plus la vie avance et plus nous sommes entourés de fantômes, de morts-vivants, qui se trouvent en peine dans l’espace de l’entre-deux-morts, comme l’écrit Akira Mizubayashi dans le roman Âme brisée (2019), dédié A tous les fantômes du monde.

De même, la pièce 21 rue des Sources de Philippe Minyana réconcilie les morts et les vivants, les mères et les fils, recourant à la magie et à la musique pour la mise en scène par l’auteur lui-même du retour de deux revenants dans leur maison d’enfance.

Exploration renouvelée pour une occupation des sols tant aimés ou rejetés que le public réinvente à travers la parole quotidienne et bien frappée de Minyana : relations de famille traditionnelle, peu ouvertes, pudiques, et belle proximité avec la nature.

Dans la scénographie et la lumière de Marylin Alasset, tout paraît féerie et songes, entre rêverie burlesque, comédie musicale amusée et réflexion beckettienne. La tristesse ou la mélancolie existentielle ont trouvé un vrai refuge dans la demeure.

La visite du site familial suit un chemin épique, passant entre souvenirs, repères d’une mémoire obligée avec ses éléments constitutifs d’une identité reconnue.

Les âmes passées traversent les murs d’aujourd’hui, sautant les générations, ensoleillant les pièces de la demeure trop longtemps restées dans l’ombre et l’oubli.

Subtile et poétique est la mesure fantomatique des personnages que le dramaturge inscrit pourtant à l’intérieur d’une réalité contemporaine quotidienne et distanciée.

Saisir des êtres authentiques qui restent eux-mêmes, captifs de la brutalité des jours qui passent, et qui n’en accomplissent pas moins leur modeste destin de vivant.

Trois décennies qui correspondent aux Trente Glorieuses, soit l’accès d’un plus grand nombre à la petite classe moyenne, travail en usine et destin de consommateur.

Un conte burlesque sur les transformations, les mutations et les métamorphoses d’une société, à travers une demeure : métaphore d’un « progrès » économique annoncé et reflet passé ou suranné de temps révolus – une marche irréversible de l’Histoire.

Les prés sont remplacés par des immeubles, des allées, les supérettes sont prêtes à se substituer aux épiceries de quartier qui faisaient office de petit rendez-vous social.

Le café-épicerie n’existe plus, ni les clapiers à poules et lapins, mais la maison reste, qui résonne du silence abyssal des bruits éteints – clients, voisins, parents, enfants…

Le pianiste live – Nicolas Ducloux assure aussi les aboiements du chien – annonce les stations d’une reconnaissance des lieux symboliques – la véranda, le jardin, le pré, le salon, la cuisine, le cellier, la cave, la chambre du haut…

Le sol scénique est cerné d’une guirlande lumineuse qui circonscrit toute pièce.

Deux enchanteurs habitent la scène d’une tristesse douce, des personnages merveilleux de contes pour enfants. Une ballerine à la couronne de fleurs, tutu blanc romantique et chaussons de danse, et un Monsieur Loyal en habit blanc élégant. Ces costumes poétiques relèvent du savoir-faire et de l’art de Raoul Fernandez.

Tous deux – de beaux fantômes et des spectres bien charnels –  ont le visage comme recouvert d’une poussière blanche accumulée par le temps. Ils ressemblent à des amoureux de Peynet d’antan, qui n’en sont pas, et qui portent en eux la grâce naturelle et la légèreté ondoyante des danseurs miniaturisés de boîte à musique.

Catherine Matisse et Laurent Charpentier revêtent, à côté des éléments fantasques de la magie de Benoît Dattez, le rôle des maîtres des merveilles, Nadine et l’Ami.

Ils semblent danser sur la scène théâtrale des vivants, si évanescents qu’ils semblent flotter dans l’espace, évoquant tel souvenir attendri ou bien telle amertume.

Laurent Charpentier semble déclamer sa partition – verbe et voix – dans une distance amusée et ironique, riant de ses propos et de lui-même, jamais dupe, et charmant.

Et Catherine Matisse a un franc-parler dont elle joue avec humour, à la fois présente et absente au monde, réfugiée dans ses rêves d’enfance et tapant d’un pied réaliste.

Ces figures scéniques admirables hantent notre passé comme notre présent – les disparues, mère et grand-mère épicières pour l’auteur, familières des douleurs et vaillantes, et les défunts par accident, par maladie ou par mort délibérément choisie.

« Ces vieilles mortes me hantent, ne me laissent pas en paix », commente Minyana.

Un spectacle délicat, à l’émotion universelle, qui traduit avec justesse les aléas d’un temps qui s’égrène sur le chemin heurté de l’existence, menée tant bien que mal.

Véronique Hotte

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt 75008 – Paris, du 6 novembre au 1er décembre à 20h30, dimanche à 15h30. Tél : 01 44 95 98 21. La Comète Châlons-en-Champagne (51), les 30 et 31 janvier 2020. La Comédie Caen (14), du 4 au 6 février. Théâtre de Lisieux (14), le 7 février. Le Liberté Toulon (83), du 4 au 6 mars. Théâtre Jean Vilar Saint-Quentin (02), le 2 avril.