Qui croire, texte (Editions Théâtrales) et mise en scène de Guillaume Poix.

Crédit photo : Collectif des routes

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Qui croire, texte (Editions Théâtrales) et mise en scène de Guillaume Poix (production Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France-, coproduction La Comédie de Reims – CDN -, soutien Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines).

 « Un jour, depuis la chambre de mon petit appartement, je vagabonde sur mon ordinateur (constamment je fais ça : vagabonder) je vagabonde et me déteste pour ça, je vagabonde vacille tombe sur un article – article qui ouvre en moi de perplexité un gouffre (océan) accroît (du même coup) le sentiment de détestation… »

Telles sont les premières phrases de la pièce Qui croire de Guillaume Poix, le monologue d’un personnage féminin – le rôle est tenu par Sophie Engel.

Sur un blog concernant les réalités biomédicales, associé au journal Le Monde, un article au titre sensationnel du médecin journaliste Marc Gozlan arrête son attention : « Quand une tumeur du cerveau entraîne hyper-religiosité et psychose ».

Une femme, entre autres cas, tente de se suicider à coups de couteau dans la poitrine, elle se dit appelée par des voix divines. Intéressée tôt à la spiritualité, elle a déjà été en proie à des hallucinations auditives et verbales « venues du ciel ».

La victime de crises mystiques subit, patiente à Berne, une IRM cérébrale : on découvre une lésion profonde dans l’hémisphère gauche de son cerveau, au niveau de la région postérieure du thalamus, une tumeur dont les phases de croissance, tous les neuf ans, correspondraient aux épisodes de crise mystique.

D’autres cas féminins sont évoqués, une jeune Indienne ou Pakistanaise, qui pleure des larmes de cristal ; une soixantenaire espagnole qui a des hallucinations auditives et visuelles de la Vierge ; Bernadette Soubirous à Lourdes, encore, où la jeune prospectrice est allée, déconcertée par la vulgarité du lieu. Marthe Robin « voit » la Vierge, à vingt ans ; la Vierge apparaît à Thérèse de Lisieux, à l’âge de vingt-cinq ans. D’autres mystiques …

Est évoquée la conversion de Paul Claudel derrière un pilier de Notre-Dame.

Qui croire ? Telle est la question.

Or, l’énonciatrice est habitée en même temps par des voix extérieures autres, qui parlent en elle, toutes sujets (sujettes) autant qu’elles sont. Le subterfuge est souligné scéniquement par la création sonore raffinée de Guillaume Vesin, qui fait entendre toutes les voix différentes tapies en nous et qui peuplent, malgré nous, notre inconscient.

Un traitement de la voix étrange qui fait qu’on entend une autre voix que soi. Des bruits extérieurs aussi, qu’ils soient de la grande ville ou de la campagne.

Pour le metteur en scène Guillaume Poix, le mystère de la voix rejoint celui de la foi – ressorts et mécanismes de la vraisemblance, de la croyance et crédulité.

Des femmes sont en lien étroit avec un être qu’elles nomment Dieu : des apparitions accréditant l’existence de Dieu ou un désordre psychique cérébral ?

Errant avec tous les outils numériques possibles sur le net, « la narratrice se persuade que la condition des mystiques serait en partie déterminée par la condition socio-historique des femmes en Europe à l’ère industrielle et capitaliste ».

Et rien n’indique que Dieu ne soit pas féminin, en vivant elle-même cette incarnation.

Ce visage doit beaucoup à Delores Kane, travesti incarné par le britannique David Shayler, ex-espion du MI5, prétendant réincarner Jésus. Un personnage réel immortalisé par la série photographique de Jonas Bendiksen, qui s’est penché sur sept hommes qui prétendent tous être le Messie redescendu sur terre.

Et l’excellente Sophie Engel, prend en charge les deux silhouettes de ce face à face, se dédouble et compose un personnage extravagant et surdimensionné. Exemple à la fois de fragilité quand elle se pose des questions et doute, et de force magnifiquement inquiétante quand elle affirme qu’elle parle en Déesse.

La comédienne s’amuse de la situation dans l’humour et la distance ironique, souriante ou faisant la moue, œuvrant sur la crête entre comique et tragique.

Sous la lumière d’Arthur Gueydan, la jeune femme immobile est radieuse.

La foi est dans l’âme de celui qui croit, une, non pas numériquement mais génétiquement. (La Trinité de Saint-Augustin – éditions Jerphagnon)

Véronique Hotte

Comédie de Reims – Centre Dramatique national, du 9 au 18 mai.

Comédie de Béthune – CDN Hauts-de- France, du 12 au 15 novembre.