Opening Night, d’après le scénario de John Cassavetes, traduction de Daniel Loayza, mise en scène de Cyril Teste.

Crédit photo : Simon Gosselin

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Opening Night, d’après le scénario de John Cassavetes, traduction de Daniel Loayza, mise en scène de Cyril Teste.

 Sur l’écran du lointain, avant que ne commence le spectacle Opening Night (1977) de Cyril Teste, alors que s’installe le public des Bouffes du nord, est projeté l’extrait d’une critique des Cahiers du cinémapar le critique et réalisateur Thierry Jousse :

« Cassavetes inscrit la fatigue dans le théâtre, d’où son caractère déglingué, c’est-à-dire l’avant et l’après, tout ce qui est traditionnellement dissimulé par la perfection des apparences déployée sur la scène. Le spectacle a bien lieu mais il ne sort pas indemne de ses épreuves, il est passé au filtre de la vie, de la fatigue, de l’autodestruction, qui sont aussi bien des productions d’énergie. »

Le mythique réalisateur de cinéma John Cassavetes (1929-1989) représente  une forme de cinéma expérimental ou d’avant-garde, de cinéma direct, une indépendance face au système industriel de fabrication des produits-films.

Ne réalisant que ce qu’il écrit lui-même avec sa troupe d’amis, il prend le temps nécessaire au tournage, recommençant ce qu’il juge raté, et surtout au montage.

Son sujet couvre la passion éprouvée vis-à-vis des « vraies personnes » : aussi le couple reste-t-il le thème brûlant et captivant de son œuvre. L’image d’une déroute donc, même si elle n’est pas définitive et peut conduire vers une lueur d’espoir.

Un supplice, une fuite en avant, la tentation de la disparition face à nul bonheur

Comment vivre l’absolu de l’amour, entre la passion pour l’être unique et l’appartenance à une famille, entre le confort d’une intimité et des conflits renouvelés, entre générosité et agressivité à travers tant le verbe que les coups physiques.

Violence et alcool, rapidité des mouvements, chocs des corps que la caméra ne cesse de poursuivre dans leurs derniers retranchements, sans pudeur : Cassavetes traque les douleurs intimes qui n’en révèlent pas moins la puissance du vivant.

La destruction de soi-même et des autres procède d’un flux que la caméra saisit.

Cette fabrique de l’illusion  – tout autant de la réalité, d’une autre manière – et l’acuité des émotions ne pouvaient qu’interpeler le metteur en scène Cyril Teste et son collectif  MxM, avec le créateur lumière Julien Boizard et le compositeur Nihil Bordures, des artistes et techniciens enclins à «  questionner l’individu simultanément en tant que spectateur du réel, de la représentation et de la fiction ».

Les termes-clé d’une telle démarche sont un plateau laboratoire entre scène et coulisses filmées à vue, un aller et retour entre le caché et le révélé, un jeu de va-et-vient entre l’autonomie de chacun et l’interaction avec l’autre – une création de co-auteurs.

Le public ne peut qu’être attentif à cette quête tant esthétique qu’existentielle, suivant le cheminement incertain des parcours, des essais, des tentatives et des répétitions.

Ils sont trois acteurs sur le plateau, qui jouent, l’un le metteur en scène Morgan Lloyd Sicard – bonnet fiché sur la tête, puis régulièrement retiré – et amant de la diva de cinéma, tiraillé par les appels téléphoniques de sa femme, l’autre le comédien Frédéric Pierrot, un rien comique, qui interprète l’amant passé et désabusé de la star qui elle-même s’amuse de son propre bonnet, et enfin, Isabelle Adjani qui reprend en belle brune flamboyante le rôle de la blonde Gena Rowlands de Opening Night.

Le public est à l’écoute, l’œil en alerte, suivant les moindres mimiques, gestes et pleurs d’Isabelle Adjani, qui ne déroge nullement au personnage que l’on sait, fragile et forte.

Véronique Hotte

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 (bis), boulevard de la Chapelle 75010 – Paris, du 3 mai au 26 mai, du mardi au samedi à 20h30, matinées les samedis 11, 18 et 25 mai à 15h30, le dimanche à 16h. Tél : 01 46 07 34 50.