Insoutenables Longues Etreintes, texte de Ivan Viripaev, mise en scène de Galin Stoev

Crédit photo : François Passerini

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Insoutenables Longues Etreintes, texte de Ivan Viripaev, mise en scène de Galin Stoev

 A la manière d’un flamboyant talk-show égaré sur un plateau de théâtre, les héros de la pièce Insoutenables Longues Etreintes de l’auteur russe Ivan Viripaev, bobos d’entre trente et quarante ans, racontent leur vie présente – l’incertitude d’un moment charnière de leur existence qui correspond à celui de la représentation.

Les interprètes incarnent leur personnage avec brio – deux hommes et deux femmes -, commentant les situations et prenant de la distance, le temps d’un flux de paroles intarissable qu’une voix intérieure libère – voix intime à moins qu’elle ne représente la voix universelle : « … dit Amy, … dit Christophe, … dit Charlie, … dit Monica ».

A New York – emblème d’un monde global -, se croisent de jeunes urbains, Monica, Charlie, Amy et Christophe, jeunes gens originaires d’Europe de l’Est, sauf Charlie. Leur souffrance éprouvée vient de la perception d’un monde absurde et disloqué.

Ils expérimentent un même destin – avortement, tentative de suicide, régime vegan, addiction aux drogues et au sexe -, une même dépendance à la consommation.

Quel sens donner à l’existence ? Ils ne semblent pas pouvoir accéder à la maturité : poids du travail en semaine, divertissement et écœurement des bières le week-end.

Mariage, trahisons, mensonges, successions de postures inventées. De New York à Berlin – « Berlin, c’est une ville exactement comme New-York, mais sans les gratte-ciels et beaucoup moins chère», les quatre se séduisent, se perdent, se détruisent.

Le sentiment d’exister – sagesse, pouvoir sur soi et liberté – semble devoir passer par le plaisir qui n’accorde finalement nulle réalité, si ce n’est un sentiment coupable, quand le monde extérieur déprécié se montre plutôt destructeur. En échange, est recherchée une force intérieure, secrète et préservée, lot de créativité commune.

La voix intime ouvre à la possibilité du rêve, de l’irréel et de l’imaginaire, une construction de soi qui transcende la réalité décevante pour toucher au salut. Cette « voix de l’univers » se fait à la fois affectueuse et ludique, joueuse et ironique, déployant, pour les personnages et pour les spectateurs, un espace « autre ».

Monica évoque le pouvoir de l’« impulsion », de la « connexion », du « mouvement » – le surgissement d’une réalité, l’avènement d’une perception de soi et du monde, une possibilité d’exister enfin dans un monde qui éludait les rendez-vous salvateurs.

Avant pourtant que tous ne fassent, chacun de leur côté, l’expérience de l’acte d’étreindre amoureusement, d’embrasser tendrement, de presser affectueusement l’autre sur son cœur et de l’enlacer pour sentir cette force d’âme révélée d’emblée, affleurant à la conscience, il en aura fallu passer d’abord par la violence du monde.

Passages à tabac, raclées et volées de coups berlinois, vols et petits trafics. L’étreinte n’est alors que l’intuition lancinante d’une angoisse intime, une empoignade physique, un enserrement brutal, un étouffement, une oppression.

Les acteurs sont vifs et impliqués, le sourire aux lèvres, tandis qu’ils racontent les épreuves les plus sordides, livrant sans ambages les obsessions qui les taraudent. Se mouvant et se déplaçant sur la scène avec conviction et élégance, patients aussi quand il s’agit de concéder de la place à l’autre pour qu’on l’entende.

Et quand arrive l’accomplissement existentiel de soi, le mur en briques du lointain s’effondre sous les coups volontaires des personnages, laissant passer la lumière.

Pauline Desmet, Sébastien Eveno, Nicolas Gonzales et Marie Kauffmann libèrent sur la scène un plaisir amusé et sensuel d’incarner la vie, invitant le public à les suivre.

Véronique Hotte

La Colline – Théâtre national, 15 rue Malte-brun 75020 Paris, du 18 janvier au 10 février 2019, du mercredi au samedi à 20h, mardi à 19h et dimanche à 16h. Tél : 01 44 62 52 52