Hunter, conception, écriture, mise en scène et scénographie de Marc Lainé, musique de Gabriel Legeleux (alias Superpoze)

Crédit photo : Simon Gosselin

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Hunter, conception, écriture, mise en scène et scénographie de Marc Lainé, musique de Gabriel Legeleux (alias Superpoze)

Après Vanishing Point, spectacle vivant à la croisée du théâtre, de la musique live et du cinéma, l’auteur, metteur en scène et plasticien Marc Lainé poursuit l’aventure avec Hunter dont l’inspiration est le cinéma d’horreur – épouvante et loup-garou. Humour et effroi, le public est invité à assister à une performance théâtrale et filmée.

Hunter est un conte contemporain pop sur le désir destructeur, un univers insolite et inouï mis en musique par le prodige de l’électro, Gabriel Legeleux, alias Superpoze.

La représentation met en scène un couple dans une maison pavillonnaire – Bénédicte Cerutti dans le rôle de Claire dont le calme est impuissant à mettre à distance l’inquiétude, et David Migeot pour David, tendu jusqu’à perdre tout contrôle, et irradié d’animalité quand une jeune fille – créature monstrueuse entre la femme et la bête, fantasme ou réalité -, ayant franchi la porte de son jardin, le mord à la main

Métaphore expressive d’un désir brut, Marie-Sophie Ferdane – voix profonde et déchirante -, dans le rôle du lycanthrope équivoque, incarne une figure d’étrangeté – grâce féminine et dureté, élégance du maintien et dessaisissement de soi, le temps d’une danse bestiale improvisée, entre plaintes de douleur, pleurs et hurlements.

Ce sont les autres peut-être, premier public, qui inventent dans leurs songes la non-belle personne, tenue prisonnière avec son frère – sur scène, le musicien Gabriel Legeleux – par leur père, Geoffrey Carey , dans une maison entourée de verdure.

Le père n’a cessé de raconter à sa fille Irina, l’histoire malheureuse de sa mère défunte, atteinte du même mal étrange et effrayant qu’Irina – des symptômes de monstruosité énigmatique et de bête sauvage dès qu’elle éprouve du désir.

Un conte noir d’enfance qui révèle à la mystérieuse Irina la teneur de ses sensations.

Le dispositif scénographique oppose la maison du couple avec la fiction fantastique qui l’environne jusqu’à la confusion des deux univers – le réel et l’imaginaire. Les limites entre la fiction, le rêve et la réalité se perdent quand arrive ce que l’on craint.

Un intérieur domestique aux vitres extérieures que l’on pénètre du regard, et le film tourné live par quatre caméras motorisées est projeté sur un écran suspendu. Le public profite d’une vision directe, fragmentaire et recadrée dont les dimensions réelles auxquelles il n’a pas accès sont répercutées plus largement sur l’écran.

Sur le pourtour scénique de l’intérieur domestique, le territoire de la bête se dessine, entre loge et coulisses, un lieu de fabrication à vue des apparitions du monstre se faufilant dans les cauchemars de Claire et hantant les visions érotiques de David.

Prothèses, costumes et maquillages, la figure féminine se transforme en loup-garou.

Le spectateur contemple un dispositif de tournage en direct avec trucages, effets spéciaux, pose de prothèses – oreilles, orbites diaboliques – par la maquilleuse.

Irina, pleine d’effroi, court, filmée dans une rue de cité pavillonnaire, avec derrière elle, la présence d’un panneau sur lequel défile la route ouverte. Le jogging nocturne et intensif de David, un appel à pacifier ses pulsions, répond à la même installation.

Le film d’horreur ou d’épouvante de série B provoque le sentiment de peur – répulsion ou angoisse. Entre thriller et fantastique, il diffuse son inquiétude, et la question est celle de la puissance dévastatrice du désir et de la peur de l’inconnu.

Le désir est crainte- avidité érotique attachée à l’angoisse de la mort -, il est familier des images de blessure sanglante, de visions érotiques et macabres de la peinture.

Le désir – rapport haineux à soi – fascine et contamine par le regard – rayonnement et impuissance. Ne pouvant se borner, il s’emporte jusqu’à la destruction funeste. La rivale de David, la bête qui l’attire, est concurrente et démone dans un conflit de jouissance ; la rivalité implique la mort du rival pour cacher sa propre vacuité.

Le désir est cette force qui définit notre existence, nous pousse et nous repousse :

« Au moment de faire le pas, le désir nous jette hors de nous, nous n’en pouvons plus, le mouvement qui nous porte exigerait que nous nous brisions… Qu’il est doux de rester dans le désir d’excéder, sans aller jusqu’au bout, sans faire le pas. Qu’il est doux de rester longuement devant l’objet de ce désir, de nous maintenir en vie dans le désir, au lieu de mourir en allant jusqu’au bout, en cédant à l’excès de violence du désir. » (G. Bataille, L’Erotisme)

 Avec Hunter, nulle douceur, mais du jeu et de l’épouvante parodiée, une fabrication paradoxalement saine de l’effroi, de la terreur et du massacre, à travers la mise à distance de l’horreur que peut provoquer une existence prise de panique affolée.

Théâtre, musique live et tournage en direct, le spectacle ludique Hunter fait mouche avec son air d’enfance et ses jeux où l’on aime tant s’amuser à se faire peur si fort.

Véronique Hotte

Théâtre national de Chaillot, entrée par les Jardins du Trocadéro, du 7 au 16 mars. Tél : 01 53 65 30 00. L’Avant-Seine Théâtre de Colombes, le 30 mars. Théâtre Dijon Bourgogne –CDN, du 3 au 6 avril. Théâtre de Châtillon, le 13 avril. La Comédie de Saint-Etienne –CDN, du 24 au 26 avril. Le Quartz, Scène nationale de Brest, les 23 et 24 mai. Les Subsistances à Lyon, du 1er au 3 juin.