Retour de Kigali, une proposition d’Olivia Rosenthal et Dorcy Rugamba

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

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Retour de Kigali, une proposition d’Olivia Rosenthal et Dorcy Rugamba

Retour de Kigali est un spectacle-lecture, entrecoupé de chansons et de musique – présence du musicien Samuel Kamanzi – guitare et voix -, et du chanteur Gaël Faye – auteur, compositeur et interprète franco-rwandais, hip-hop et littératures créoles.

Le spectacle vivant est issu d’un travail réalisé lors de l’atelier-mémoire sur le Rwanda réalisé avec des étudiants inscrits dans le master de création littéraire de l’université Paris VIII – de jeunes artistes français et rwandais -, et mené par Olivia Rosenthal, auteure et metteuse en scène, et Dorcy Rugamba, auteur, acteur et metteur en scène. Olivia Rosenthal note que tous ensemble, français, belges, bulgare et rwandais réunis, ont regardé des images, lu des textes, parlé, transcrit et traduit, écouté, raconté, inventé, filmé, réfléchi et écrit, en connaissance de cause .

Le génocide des tutsis au Rwanda en 1994 fait l’objet inépuisable de recherches historiques et sociologiques. À partir du 7 avril 1994, de triste mémoire, les machettes – outils agricoles – sont devenues des armes dans les mains des Hutus pour exterminer la population tutsi. Le génocide, commencé le lendemain de l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana et du chef d’état burundais Cyprien Ntaryamira, s’est poursuivi jusqu’au mois de juillet. On dénombrera, sur les sept millions d’hommes et de femmes de la population, entre cinq cent mille et un million de victimes parmi les Tutsi et les Hutu modérés, systématiquement exterminés par les miliciens du régime. Ce génocide déstabilise toute l’Afrique Centrale alors que la Communauté Internationale, de son côté, tardera à intervenir…

Comment parler de cette tragédie quand on est né autour de 1994, un peu avant ou un peu après, incapable de se souvenir d’événements aussi cruels, si ce n’est en passant par des anecdotes dont on se ressaisit, à l’aide des souvenirs des proches ?

Comment la vie survit-elle au désastre après que plus de vingt ans aient passé ?

Et comment évoquer ce drame quand on vient d’ailleurs, et qu’on n’a pas connu l’expérience de ce pire-là, illustrée de son imaginaire de mort ? Peut-être à travers la fiction et l’ouverture efficace, efficiente et bienfaisante à la culture de l’autre.

Dans le lointain du plateau, l’écran de la vidéaste bulgare Élitza Gueorguieva propose des images de Kigali, des paysages rwandais – larges étendues de collines verdoyantes et pirogues de lac immense -, ciel rougeoyant et ombres autochtones souriantes – la beauté exotique mais d’abord universelle de cartes postales colorées.

Pour l’une des interprètes, l’Afrique est comparable à la poésie d’une femme que l’Histoire successive, menée par les hommes, façonne et malmène à volonté : « Je suis une grande femme … » La gigantesque silhouette varie et se métamorphose selon les plis et les coups qu’on lui inflige, victime sans défense et non consentante.

Un autre, mélancolique, revient sur le concept de génocide dont on dit que « jamais plus » il ne se reproduira ; en vain, l’horreur se perpétue ici ou là, d’une autre façon.

Un autre se souvient de cet enfant ressurgi des fourrés, caché trois jours durant, alors que le bourreau et assassin d’enfants pensait avoir exterminé tous ces derniers : du coup, pris d’un sentiment d’ultime remords, le serial killer se suicide.

Une autre encore se remémore sa sœur, assise sur une barrière dans un paysage paisible et familier, et qui, d’un geste de la main, frotte doucement le haut de son crâne, après avoir dénoué ses cheveux : c’est la dernière image poétique sororale, figée à vie dans la mémoire de la survivante et observatrice, alors que celle-ci se tenait par hasard protégée avec d’autres proches sous un arbre, un refuge salutaire.

La lecture-spectacle est émouvante et forte par la clarté et l’évidence du propos qui consiste à se souvenir et à ne pas oublier, au-delà de toutes les haines vaines.

Véronique Hotte

Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines, les 8, 9 et 10 avril