L’Amant, texte de Harold Pinter, traduction Olivier Cadiot (L’Arche Editeur), mise en scène de Ludovic Lagarde. Cycle Harold Pinter au Théâtre de L’Atelier.

Crédit photo : Pascal Gély

L’Amant/ Cycle Harold Pinter au Théâtre de L’Atelier, texte de Harold Pinter, traduction Olivier Cadiot (L’Arche Editeur), mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. Lumière Sébastien Michaud, scénographie Antoine Vasseur, costumes Marie La Rocca, maquillages, perruques et masques Cécile Kretschmar, réalisation sonore David Bichindaritz, conception vidéo Jérôme Tuncer.

L’Amant a été présenté pour la première fois en France au Théâtre Hébertot, à Paris le 27 septembre 1965, dans une mise en scène de Claude Régy, et un décor de François de Lamothe, avec la distribution suivante : Jean Rochefort pour Richard, Delphine Seyrig pour Sarah et Bernard Fresson pour John. Eric Kahane avait à l’époque traduit La Collection, L’Amant et Le Gardien.

Pour Eric Kahane, « le propos de l’oeuvre de Pinter n’est ni social, ni politique, ni philosophique : il est de montrer l’homme seul, face à face avec la société. Il traite du problème de la solitude, de la peur des autres, que l’on cache sous un masque ironique ou agressif. Dans le théâtre de Pinter, une histoire ébauchée n’est jamais menée à son terme, ou bien le spectateur y pénètre à mi-chemin et ne pourra jamais la comprendre. » Tensions, silences, mots dits ou tus, énigmes.

La menace vient du déracinement des personnages – des inconnus –  dont la présence sur scène est souvent mystérieuse, dénuée de toute explication rationnelle. Jeux de tension, de pouvoir et de menace. L’attente d’on ne sait quoi, des paroles lourdes d’implicite, de l’insistance sur les détails concrets et matériels, les dialogues sont significatifs. Résonances existentielles et métaphysiques.

L’Amant est une sorte de puits sans fond : il met en scène Sarah et Richard, un couple classique et heureux. Ils vivent dans une banlieue résidentielle à la campagne, le mari part le matin pour se rendre au travail, à la City, et revient le soir retrouver sa femme restée au foyer. D’emblée, le spectateur apprend que certains après-midi Sarah reçoit Max son amant et que Richard le sait et s’en accommode. Qui est cet amant officiel si peu dérangeant et à quoi jouent Sarah et Richard ? 

Dans la mise en scène de Ludovic Lagarde, les comédiens admirables Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux s’engagent dans une partition tirée au cordeau, jouant leur rôle au fil du rasoir: rien n’est plus appréciable pour le public, tendu à l’extrême dans une attente et un suspens plutôt improbables. Lui, en costume cravate venant de la City et elle, dans l’élégance, repliée chez elle. Certes, les femmes restent de moins en moins enfermées dans leur « sweet home » et vaquent à leurs activités, personnelles ou/et professionnelles, libres, libérées et émancipées, oserait-on dire.

Le deal ou marché entre les deux est des plus étranges, d’autant qu’un laitier – une apparition inattendue et brève – s’immisce pour sa livraison dans le salon-même de la dame, l’après-midi. Et le spectateur intrigué assiste ensuite à l’intrusion de l’amant chez sa belle, un intrus qui n’est autre que le mari déguisé en filou. Soit l’égrènement des rêves et des fantasmes de l’un et l’autre qui peuvent se démultiplier à l’infini. Le mari fait enrager sa femme en évoquant son amant de l’après-midi et l’amant va jusqu’à se faire du souci pour l’époux travaillant dans son bureau à ses dossiers.

Laurent Poitrenaux en technocrate accompli est on ne peut plus crédible – sûr de lui, en imposant  à sa dulcinée attentive, un rien arrogant et suffisant, tout en ménageant, en grand seigneur, un espace de salut et de respiration à celle-ci. Quel plaisir pour lui de se changer en amant voyou.

Valérie Dashwood reçoit les balles avec tact et finesse, tout aussi conquérante et victorieuse que son époux/amant. Et, comme le révèle intuitivement Pinter, la partie, comme toujours, n’est guère équitable ni favorable pour la femme, qui change d’atours, d’une robe enfilée à l’autre, empressée, souriante ou pas, gracieuse, tenue de chausser une paire d’escarpins remplacés par  des talons-aiguilles. Assise ou debout, posée, elle est en alerte, en éveil, dans l’expectative – espoir ou crainte -, restant l’objet d’un amusement dont elle n’est pas la manipulatrice, elle préfère alors l’esquive.

Un duo d’amoureux convaincant et sensible dans ses rudesses – la délicatesse d’un jeu à deux.

Véronique Hotte

Du 3 au 25 juin à 19h, dimanche 15h, au Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin 75018 Paris. Tél : 01 46 06 49 24 Theatre-Atelier.com

La Collection, texte de Harold Pinter, traduction d’Olivier Cadiot (L’Arche Editeur), mise en scène de Ludovic Lagarde. Cycle Harold Pinter au Théâtre de L’Atelier.

Crédit photo : Gwendal Le Flem

La Collection – Cycle Harold Pinter au Théâtre de L’Atelier –, texte de Harold Pinter, traduction d’Olivier Cadiot  (L’Arche Editeur), mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot et Laurent Poitrenaux. Dramaturgie Sophie Engel, lumière Sébastien Michaud, scénographie Antoine Vasseur, costumes Marie La Rocca, maquillages, perruques et masques Cécile Kretschmar, réalisation sonore David Bichindaritz, conception vidéo Jérôme Tuncer.

Le metteur en scène Ludovic Lagarde monte La Collection, une pièce de Harold Pinter sombre et fascinante dont la teneur équivoque joue avec l’art du mensonge. James Horne veut savoir la réalité sur les relations d’une nuit dans un hôtel de Leeds entre sa femme, Stella Horne et Bill Lloyd, tous deux créateurs de mode. L’épouse vit avec son mari dans un appartement de Chelsea dans le quartier des artistes, et l’amant d’un soir vit chez Harry Kane dans une villa d’un quartier huppé de Londres.

Des milieux artistes où l’on apprécie l’opéra et le jazz, les objets d’art et les porcelaines de Chine, les masques animaliers d’Afrique ou d’Orient, le confort sûr des fauteuils de cuir d’un salon cossu.Savoir goûter le temps avec conscience, tout en lisant le journal, un verre à la main.

Quelles sont les relations entre le jeune couturier et son protecteur esthète et manipulateur ? Que représentent-ils ? Un pouvoir sur le monde, une réussite sociale, quand l’aîné révèle « avoir sorti de la  zone » le plus jeune dont il a repéré le talent ? Que recèle en son for intérieur la mystérieuse Stella, mariée depuis deux ans ?

Un jeu de personnages, entrelacé par des mouvements intimes qui les dépassent – la passion, le désir, le fantasme, la jalousie, l’envie, le mépris et le rêve de puissance. Les scènes se succèdent, d’une situation à l’autre, d’un intérieur à l’autre, selon les partenaires en place, égrainant toutes les possibilités entrevues – selon un calcul mental de probabilités – des réalités vécues.

Sur le plateau de théâtre, les lieux sont séparés : on ne passe pas de l’appartement chic de tel couple à la maison somptueuse de Harry, en traversant les murs, mais en empruntant des portes latérales d’entrée et de sortie, respectives aux deux espaces. A la fin, des croisements s’opèrent ; Harry Kane qui est allé en savoir davantage chez Stella revient chez lui en outrepassant les murs  d’habitation pour aller surprendre son protégé Bill Lloyd en compagnie de James Horne.

Est-ce Harry le manipulateur, fin politique dans la prise de pouvoir à la fois de Bill Lloyd et de Stella Horne, deux figures manipulées quoique elles-mêmes agissent ? Un puzzle, un patchwork, un dessin à recomposer à partir des bribes d’informations recueillies et démenties plus tard, puis ré-appréciées comme authentiques. Une Collection de scénarii possibles à n’en plus finir – le mot jouant sur l’art de coudre et d’agencer les robes luxueuses, comme d’inventer un roman policier.

La Collection a été présentée en France à Paris en 1965, dans une mise en scène de Claude Régy, avec Jean Rochefort, Michel Bouquet, Delphine Seyrig et Bernard Fresson, des acteurs qui accomplirent, chacun de leur côté, la carrière que l’on sait. Autres temps, autres acteurs, et La Collection recèle en elle un quatuor d’excellents comédiens, Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux.

Mathieu Amalric qui joue Harry est précis, à la fois distant et intensément présent, porté tranquillement par un léger sentiment implicite de discrétion supérieure. Micha Lescot pour l’interprétation de Bill déploie l’ambiguïté amusée dont il est capable, longiligne et nonchalant, satisfait, un rien moqueur et narquois. Valérie Dashwood incarne Stella, belle étoile féminine dont la lumière abrite les pensées. Alanguie, elle se revêt de fourrures claires qu’elle se plaît à caresser. Quant à Laurent Poitrenaux, l’acteur porte l’indécidable d’un être mélancolique, déterminé et hésitant en même temps, volontaire et velléitaire, prenant plaisir à troubler l’autre et à le déstabiliser, éprouvant lui-même les blessures intérieures.

Un quatuor saisissant de comédiens d’envergure – à la belle force d’âme et présence scénique – à l’intérieur d’un écrin de théâtre où le temps compté sait faire place au silence qui en dit long.

Véronique Hotte

Du 30 mai au 25 juin 2023, du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h, au Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin 75018 Paris. Tél : 01 46 06 49 24 Theatre-Atelier.com

Le grognement de la voie lactée, texte Bonn Park, mise en scène Paul Moulin et Maïa Sandoz au Théâtre de la Tempête.

Crédit photo : Joachim Munoz.

Le grognement de la voie lactée, texte Bonn Park, mise en scène Paul Moulin et Maïa Sandoz.

Paul Moulin et Maïa Sandoz créent en France la pièce d’un jeune auteur allemand, Bonn Park, qui s’est notamment formé auprès de Frank Castorf auquel il a manifestement emprunté le culte de l’hyperbole et du kitch absolu, comme arme politique et mantra théâtral. Ces pièces de punk berlinois post-moderne, dont «  Le grognement de la voie lactée » traduite par Laurent Muhleisen, ont reçu diverses récompenses en Allemagne.

Bonn Park capte l’esprit d’un monde qui court à sa perte où la construction d’idoles néfastes, qu’elles relèvent de la politique, du business, du spectacle sous toutes ses formes, ont envahi  les esprits par la sur-médiatisation, la numérisation et ses avatars. 

Partagé entre la Corée et Berlin, deux lieux où libéralisme et communisme se sont affrontés, Bonn Park ressent fortement cette double conjonction qui a abouti à un populisme fascisant et aux cultes de personnalités abêtissantes et dangereuses,  comme Donald Trump ou Kim Jong-un. Les autres idoles de la mode et des réseaux sociaux, comme Herdi Klum, mannequin et chanteuse, ou les footeux de service (Fabien Barthes a remplacé Manuel Neuer pour le public français) alimentent la décérébration générale.

Soumise à cette domination des idoles réelles et virtuelles, l’humanité court à un suicide collectif sans voir ses ressources disparaître, la parabole des aveugles vue par un nouveau Bruegel …dystopie, dystopie… 

Beaucoup de bruit et de fureur dans cette pièce qui tient un peu des Métamorphoses d’Ovide, les transformations  apparentes de ces icônes célèbres et numérisées sous- tendant toujours un vice et donc une morale (Herdi Klum devient obèse et anthropophage).  

A côté de ceux déjà évoqués, Cassandre, la prophétesse, un enfant malade, une  girafe gourou, tous débitent leurs fables délirantes, l’une après l’autre. Le tout emballé dans un conte extraterrestre spielbergien, d’où le titre de la pièce et la référence aux étoiles.

La musique est omniprésente, passée au shaker comme les personnages et les samples de la techno se mêlent à la K pop, à Nirvana, Léo Ferré et aux valses de Strauss. Tout va très vite et les comédiens se démènent comme des damnés avec une envie d’en découdre évidente. Mathieu Carle, Jeanne Godard, Angie Mercier, Fabien Hasplus, Quentin Rivet, Paolo Sandoz, Christelle Simonin, Marie Razafindrakoto ou Mélissa Zehner sont montés sur ressort, le public jubile avec eux.

C’est d’ailleurs un peu le problème, s’il y a un texte, peut-être, il est étouffé par cette ambiance permanente de happening disco et de déchainement verbal et gestuel. Le spectacle finit par perdre tout sens miné par ces performances à répétition. 

Le final est plus réussi avec un gourou qui manipule le public à loisir, public qui semble y prendre plaisir, de là à penser que les idoles parviennent toujours à leurs fins !  

Un travail théâtral indéniable et une dépense d’énergie à saluer mais une bonne farce doit savoir être efficace dans ses messages et utiliser la surprise dans un temps condensé, ce n’est pas le cas de ce grognement qui s’étire un peu trop.

Louis Juzot

Du 3 au 23 juin 2023 à 20h30, sauf lundi, dimanche16h30, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ –de-Manœuvre 75012 Paris Tel :01 43 28 36 36, www. la-tempete.fr

Sur les ossements des morts (Drive Your Plow Over the Bones of the Dead/Conduisez votre charrue sur les os des morts), d’après le roman d’Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon McBurney (Théâtre de Complicité).

Sur les ossements des morts (Drive Your Plow Over the Bones of the Dead/Conduisez votre charrue sur les os des morts), d’après le roman d’Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon McBurney (Théâtre de Complicité). Scénographie et costumes Rae Smith, lumièrePaule Constable, fils Christopher Shutt, vidéo Dick Straker,direction complémentaire Kirsty Housley, dramaturgieSian Ejiwunmi-Le Berre, Laurence Cook, direction du mouvement Toby Sedgwick, compositions originales Richard Skelton, perruquesSusanna Peretz, traduction du polonais Antonia Lloyd-Jones. Avec Thomas Arnold, Johannes Flaschberger, Tamzin Griffin, Amanda Hadingue, Kathryn Hunter, Kiren Kebaili-Dwyer, Weronika Maria, Tim McMullan, César Sarachu, Sophie Steer, Alexander Uzoka. Le rôle de Janina, interprétée par Kathryn Hunter, est désormais joué par Amanda Hadingue et les rôles d’ Amanda Hadingue par Tamzin Griffin. Du 7 au 18 juin 2023, du mardi au vendredi à 20h, le samedi 14h30 et 20h, le dimanche à 15h, relâche lundi, en anglais, surtitré en français. A L’Odéon Théâtre de l’Europe – Odéon 6è. http://www.theatre-odeon.eu Tél :+33 1 44 85 40 40 

Le spectacle de Simon McBurney Sur les ossements des morts  prend appui sur l’image du mycélium, le réseau de champignons sous le sol profond de la forêt, reliant les arbres par leurs racines, distribuant l’eau et les nutriments le long de sa toile, soit la métaphore d’une histoire sur l’interconnexion entre l’humanité et la nature, et les périls, bien sûr, quand la relation est fracturée.

Sur le vaste écran du lointain, apparaissent le cosmos, les planètes, les étoiles, les configurations célestes, en même temps que les photos maternelles convoquées du passé de la protagoniste.

Lire l’article de Véronique Hotte sur http://www.webtheatre.fr