Crédit Photo : Simon Gosselin.
Olivier Masson doit-il mourir ? de François Hien – L’Harmonie Communale, mise en scène collective et jeu de Kathleen Dol, Arthur Fourcade, Estelle Clément-Bealem, en alternance avec Laure Giappiconi, François Hien et Lucile Paysant.
Olivier Masson doit-il mourir ?, un texte de François Hien, mis en scène collectivement et joué par L’Harmonie Communale, est une fiction inspirée de l’affaire Vincent Lambert – dont le retentissement médiatique en a fait l’affaire de tous – une question d éthique.
Olivier Masson, victime d’un accident de moto en ratant un virage en pleine vitesse, marié et père d’une petite fille, vit depuis six ans dans un état végétatif. Toute communication avec lui est impossible ou empêchée : on ne sait s’il est conscient, un peu ou pas du tout.
Le conflit éclate au sein de sa famille quand l’équipe médicale décide d’entamer une procédure permettant de cesser de le maintenir artificiellement en vie : d’un côté, Laurence, l’épouse d’Olivier soutient la démarche, et de l’autre, Bénédicte, sa mère, s’y oppose. Alors que le combat pour l’arrêt des soins n’aboutit pas, un infirmier, Avram Leca, met fin à la situation bloquée du patient en interrompant ses jours via une injection létale.
La représentation commence par le procès de l’infirmier, jugé pour homicide, qui provoque le mise au jour d’un drame intime, au coeur des machines juridiques, médiatiques et médicales. Inspirée de faits réels, la pièce de François Hien s’en détache pourtant pour frayer avec la fiction et atteindre une dimension objective dont se réclame l’auteur, comédien et co-metteur en scène, pour un théâtre à la fois documenté et romanesque.
La fresque est humaine et sociale, et l’histoire est un piège quand les média radicalisent les deux positions. Olivier Masson raconte un conflit d’interprétation autour d’un homme dont deux femmes prétendent détenir la vérité : les personnages appartiennent à la fiction.
Un dilemme : d’un côté, un corps impossible à guérir, et de l’autre, un corps impossible à tuer. Le professeur Jérôme tente de convaincre la mère réfractaire : « Je suis chrétien comme vous, madame Masson. Comme vous, je pense que l’euthanasie est une ignominie. Une fausse bonne idée, comme bien des initiatives humanistes, qui finissent par engendrer le contraire de ce qu’elles visaient ».
L’homme de science explique encore à Bénédicte la loi Léonetti sur la fin de vie qui réaffirme le droit du malade à l’arrêt de tout traitement : « Notre loi, notre petite procédure imparfaite, se tient en équilibre sur une ligne étroite, entre deux écueils : l’acharnement thérapeutique, qui est une abomination de la technique ; et l’euthanasie, qui impose aux médecins un acte contraire à leur vocation pour complaire à l’esprit du temps. »
La mère, catholique, se sentirait coupable de n’avoir pas suffisamment protégé son fils quand il était enfant, elle aimerait « se racheter » en restant auprès de lui, à présent, persuadée qu’une vie consciente l’habite toujours. L’épouse s’est battue des années dans l’espoir de la guérison de son mari; à présent, toute espérance anéantie, elle se souvient d’une promesse faite à Olivier : le libérer, le délivrer, s’il se trouvait en grande dépendance.
Quand l’épouse ou la mère parle au malade intimement, l’’infirmier, doué de chamanisme et en lien avec son patient en état pauci-relationnel, semble parler en son nom d’une voix profonde qui percute la résonance du vide, une position « sainte » d’abandon à l’autre.
Portrait est fait d’une société qui se nourrit de cas concrets pour révéler ses valeurs à travers un abîme inépuisable de commentaires dont se saisissent des êtres soumis à l’ivresse de la médiatisation, trop rigides dans le rôle qu’on leur fait tenir. La pièce fait entendre tous les points de vue, toutes les positions, en bonne foi, sans prendre parti.
Pour François Hien, « peu à peu, ce procès devient une sorte de lanterne magique qui fait surgir des situations passées, des discussions brûlantes, des scènes intimes… »
Olivier Masson doit-il mourir ? ne désigne pas de coupable mais raconte une affaire prise au piège de la récupération idéologique, un cas concret devenu symbole de causes qui le dépassent à travers les discours des journalistes, militants, avocats et médecins.
Les comédiens passent d’un rôle à l’autre dans l’urgence, une sorte de débordement des corps contraints, une précipitation sans maîtrise du temps ni pause ni retour sur soi.
Le public ne verra jamais le patient, le corps fragilisé d’Olivier Masson absent est caché – en toute pudeur – par un rideau qui laisse entrevoir la chambre mais non le lit médicalisé.
Cinq comédiens interprètent trente-et-un personnages, insufflant mouvement et vie – à la fois, une respiration et une oppression – une urgence en accord avec l’esprit du temps.
Kathleen Dol interprète l’avocat de la défense de l’infirmier Avram Leca joué par Arthur Fourcade, mais les acteurs incarnent beaucoup d’autres figures encore, comme la fille d’Olivier Masson pour la première et le juge pour le second, assis au premier rang du public, portant sa robe de magistrat. Infirmier, il est mystérieux, énigmatique, impénétrable.
Estelle Clément-Bealem, en alternance avec Laure Giappiconi, est Bénédicte – rôle ingrat de figure maternelle abusive mais pas seulement, habitée également par des valeurs humanistes, quand elle se penche sur l’enfance de son fils qu’elle n’a pas su protéger : « C’est cela que m’a reproché Olivier, n’avoir pas osé déranger. Avoir choisi la tranquillité plutôt que la justice. C’est cela qu’il m’a fait payer de son silence. Mais je ne commettrai pas la même erreur. Je choisis l’intranquillité, professeur. Je reste auprès de mon fils. »
François Hien joue le rôle d’un chef de service de réanimation, le professeur Jérôme, avec conviction et engagement, patience et distance, mais aussi empathie avec l’épouse et la mère. Lucile Paysant porte le visage inquiet et expressif d’une épouse douloureuse.
Un moment grave de pensée et de réflexion sans jamais que parti soit pris pour tel ou tel.
Véronique Hotte
Représentation professionnelle du 6 mars au TGP- Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, Centre dramatique national (Seine-Saint-Denis). Tournée prévue au Centre culturel Charlie Chaplin à Vaulx-en-Velin (Rhône); à L’Usine à gaz à Nyon (Suisse); au Centre Culturel de La Ricamaire (Loire).