Qui a peur, de Tom Lanoye, traduction Aurore Fattier et Koen De Sutter, mise en scène Aurore Fattier, au Théâtre 14.

Crédit photo: Prunelle Rulens.

Qui a peur, de Tom Lanoye, traduction Aurore Fattier et Koen De Sutter, mise en scène Aurore Fattier, scénographie et costumes Prunelle Rulens, image et vidéo Gwen Laroche, son Laurent Gueuning, lumière Franck  Hasevoets avec Claire Bodson, Leïla  Chaarani, Koen de Sutter, Khadim Fall.

« Les arrière-cuisines sont peu ragoûtantes » pourrait être le sous-titre de cette pièce de Tom Lanoye, romancier, poète et dramaturge flamand qui s’est illustré en réécrivant des classiques du répertoire, d’Euripide à Shakespeare, au gré de son compagnonnage avec Guy Cassiers. Il s’attaque cette fois au «  Qui a peur de Virginia Woolf ? » d’Edward Albee créé à Broadway en 1962, mais mondialement connu grâce à l’adaptation cinématographique de Mike Nichols, avec Liz Taylor et Richard Burton en couple infernal.

Tom Lanoye reprend la situation et le quatuor d’Albee en les transposant dans le milieu du théâtre contemporain. Il reprend surtout l’esprit de l’œuvre originelle au ton ouvertement obscène, destructeur et satirique. Ce n’est pas le microcosme universitaire qui est visé cette fois, mais celui du théâtre, des « théâtreux », dirions-nous, tant l’auteur s’acharne sur des personnages de losers qui vivent au crochet du système. Il décrit un monde minable qui survit grâce aux subventions gouvernementales. Il en rajoute dans le mauvais goût et le sordide jusqu’à saturation pour dénoncer le patriarcat, la libido malade, le racisme et le cynisme d’un vieux  mâle blanc qui se prétend directeur et metteur en scène.

Ce vieux mâle blanc, Koen, est joué avec maestria par Koen De Sutter, plus « dégueu », tu meurs. Il est affreux, sale et méchant sous toutes les coutures surtout avec sa femme Claire, Claire Bodson – les prénoms sont ceux des acteurs-, minée par l’alcool et les humiliations quotidiennes. Les injures crasses sont à la hauteur de ce jeu sado-maso auquel se livrent les deux acteurs, car on ne sait pas  finalement s’ils jouent toujours ou s’ ils vivent au premier degré leur affrontement permanent. Le savent-ils eux-même ?

Face à eux, Leïla – Leïla Chaarani – et Khadim – Khadim Fall – sont les jeunes acteurs issus de la diversité qui s’apprêtent à signer le contrat qui leur permettra de travailler pendant un an. Ils seront  le jeune couple du vrai « Qui a peur de Virginia Woolf ?», que  va remonter pour la énième fois Koen. Même s’ils sont beaucoup plus présentables que leurs aînés, leurs discours enflammés ou leurs coups bas ne cachent pas leur opportunisme et leur mépris pour la vieille école et la vieille société.

Aurore Fattier, qui dirige depuis peu la Comédie de Caen avec Catherine Laugier, a choisi de traiter la pièce dans une tonalité qui atténue l’acidité des mots avec un côté nostalgique de théâtre dans le théâtre, entre Bergman et Tchekhov. Dès l’ouverture, les gradins font face aux spectateurs et au fil de l’eau, Koen range méthodiquement les décors de la pièce qu’il vient de jouer avec Claire. Une grande photo de Tchekhov sort des réserves, et des effets vidéo en gros plan des acteurs apparaissent en surimpression, pour bien signifier la représentation. 

Où est le théâtre ? Où est la vraie vie ? Dans l’esprit du vieux couple de comédiens, la frontière n’existe plus et le temps s’est immobilisé. Ils sont en représentation  permanente, l’un par rapport à l’autre. Leur frustration apparaît vraiment face aux autres quand ils ne peuvent plus masquer la réalité de leur vie ratée et ils deviennent alors tous les deux bien moches et pervers.

Finalement la pièce de Lanoye est conventionnelle malgré son mauvais goût assumé, comme l’original d’ailleurs, et repose beaucoup sur le jeu des acteurs.   Hommage au « vieux théâtre » ?  Peut –être aussi que sa force est moins parlante  en France qu’en Belgique où Koen de Sutter l’avait montée dans sa langue originelle, n’en demeure pas moins un exercice  bien mené de relecture d’une œuvre iconique.

Louis Juzot

Jusqu’au 25 mai 2024, mardi, mercredi , vendredi 20h, jeudi 19h, samedi 16h  au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris Tel : 01 45 45 49 77 theatre14.fr En novembre 2024, à la Comédie de Caen-CDN de Normandie. Le 27 novembre, Maison de la Culture d’Arlon (Belgique). Le 27 mai 2025, Comédie de Reims-CDN.