La Loi du marcheur, un projet de et avec Nicolas Bouchaud, d’après Serge Daney, mise en scène Éric Didry, coll. artistique Véronique Timsit, au Théâtre de la Bastille.

Crédit photo : Brigitte Enguerand.

La Loi du marcheur, un projet de et avec Nicolas Bouchaud, d’après Serge Daney – Itinéraire d’un ciné-filsentretien réalisé par Régis Debray -, un film de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin, mise en scène Éric Didry, collaboration artistique Véronique Timsit. Avec Nicolas Bouchaud, lumière Philippe Berthomé, scénographie Élise Capdenat, son Manuel Coursin, vidéo Romain Tanguy, Quentin Vigier, régie générale son et vidéo Ronan Cahoreau-Gallier, régie lumière Jean-Jacques Beaudouin.

Serge Daney (1944-1992) est l’auteur de recueils nourris sur le cinéma, témoignant – poésie et profondeur -, du passage du temps, de la marche de la vie vers la mort. 

Comment s’identifier au cinéma français quand on est jeune découvreur des films des années 50/60 avec pour repères, Jean Gabin, Raimu, Danielle Darrieu, alors que Rio Bravo (1959) fait tant rêver avec ses figures de western viril, tel l’cônique John Wayne ?

L’origine de l’amour fou pour l’art cinématographique vient de la force vivante des images, à travers lesquelles l’écolier perçoit la captation d’un monde plein de promesses – la Terre à portée de regard -, grâce à l’observation d’un imaginaire soudain visible – les cartes géographiques colorées des classes d’antan et leurs frontières et capitales, images aux lignes qui se métamorphoseront sans cesse, bougeront, disparaîtront, paraîtront ailleurs. 

C’est La Loi du marcheur dont le pas artistique sur la planète marche à l’amble du temps.

Ce qui est important pour l’explorateur insatiable du 7è art, c’est de savoir voir le monde pour se voir soi-même, ou d’être apte à se voir soi-même pour mieux voir le monde : voir un territoire et se voir à l’intérieur – être vu -, et se sentir vivant grâce au cinéma révélateur. Le cinéma « de qualité » autorise l’identification au monde et à la vie qu’il offre à chacun.

La pratique de la critique est difficile lors de la métamorphose des goûts et des valeurs, du choc de la splendeur hollywoodienne et de la fin du système industriel dont celle-ci vient. Avec la télévision comme point de passage entre cinéma et « critique de cinéma de la vie », l’histoire d’une cinéphilie française – un cinéma glorieux centenaire avant l’arrêt.

La Loi du marcheur prend pour point de départ le film documentaire Itinéraire d’un ciné-fils de 1992 de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin, dans lequel Serge Daney, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, journaliste à Libération et fondateur de la revue Trafic, 47 ans et malade du sida, s’entretient avec Régis Debray..

Ils retracent ensemble les étapes d’une vie avec et pour le cinéma : de son enfance dans le XIe arrondissement de Paris, dans un milieu modeste, à sa longue contribution aux Cahiers du Cinéma ; des voyages après Mai 68 à ses années de critique à Libération

Passeur emblématique, Serge Daney est un conteur théâtral, naturel et percutant, doué d’un sens inné de la formule. Il raconte ce que « voir des films lui a offert du monde ». Et Nicolas Bouchaud prend au vol cette parole incisive dans son adresse au public, soutenu par Rio Bravo d’Howard Hawks, avec jeux scéniques entre plateau et écran de projection. 

L’interprète fait référence aux textes publiés dans les Cahiers dès 1964-1965, à la suite du voyage accompli avec Louis Skorecki à Hollywood, où les deux complices collectèrent des entretiens – avec Hawks, Sternberg, Keaton, McCarey, Jerry Lewis et Jacques Tourneur-: une entrée fameuse dans les Cahiers, selon un cinéma américain de « vieux » dont la gloire était déjà passée, écrit Daney en 1977.

Un hommage au cinéma et à son pouvoir de changer le cours de nos vies, un spectacle qui interpelle le spectateur attentif dont les réponses engagées sont argumentées, avec Nicolas Bouchaud comme sublime passeur efficace, grâce à son pouvoir de conviction théâtrale et de persuasion, hic et nunc, humour et recul, à la façon du prophétique Daney.

Véronique Hotte

Jusqu’au 29 mai à 20h, le samedi à 18h30, le 29 mai à 21h, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette 75011 – Paris. Tél: 01 43 57 42 14.