The Mountain, création Agrupación  Señor Serrano, mise en scène, dramaturgie, Alex Serrano, Pau Palacios, Ferran Dordal, Le Paris Globe Festival au Théâtre Paris-Villette.

Crédit photo: Andrea Avezzù

The Mountain, création Agrupación  Señor Serrano, mise en scène, dramaturgie, Alex Serrano, Pau Palacios, Ferran Dordal, performance Anne Pérez Moya, Alex Serrano, Pau Palacios, David Muñiz, voix Amelia Larkins, musique Nicolo Roig, programmation et création vidéo David Muñiz et Jordi Soler Quintana, espace scénique et maquettes Lola Belles et Alex Serrano.

Le Paris Globe Festival présente une quinzaine de spectacles des quatre coins de la planète entre le 21 et le 31 mai 2024. Tous les arts vivants et toutes les techniques s’y mêlent, un bon moyen pour embrasser le foisonnement de la création internationale. Huit scènes parisiennes y participent : Paris-Villette, Silvia Monfort,  les Théâtres13 et 14, ceux  de la Concorde et de la Bastille, les Plateaux Sauvages.

Au Théâtre Paris-Villette, les Catalans de l’Agrupación Señor Serrano ont présenté The Mountain, un spectacle qui traite de la rumeur, du complotisme dirait-on maintenant, de la force des fake news dans un monde dominé par le pouvoir de  diffusion de la parole et de l’image, en bref, de la manipulation du réel et de la vérité. Histoires vieilles comme le monde mais aujourd’hui démultipliées et dangereuses pour sa survie même.

Avec leur technique bien rodée, les multi-performeurs catalans tissent trois fils. La mort de Georges Mallory sur les pentes de l’Everest en1924 : a-t-il oui ou non atteint le sommet ? L’adaptation radio par Orson Welles de « la Guerre des mondes » de HG Wells en 1938 qui développa la rumeur persistante bien que  fausse d’une panique de la population face à l’invasion d’extraterrestres. Enfin, les discours  mensongers et cyniques de Poutine lui-même – le spectacle fut créé avant l’invasion  de l’Ukraine, le collectif ne l’a pas modifié.

Habillés en joueurs de tennis classe genre Wimbledon années trente Alex Serrano, Pau Palacios, David Mūniz  jouent au badminton puis vont s’activer derrière leur camera face à des maquettes animées. Le dispositif combine projections et films en direct, mais aussi montages, images floutées ou parasitées. En intro, Anna Pérez Moya persuade malgré sa tenue de tennis et sa raquette qu’elle joue au base-ball.

Le spectacle est savamment déconstruit et on lit derrière la fabrication en direct de cet amas d’images une critique des superpuissances étatiques ou économiques qui forgent une réalité prête à consommer par le reste de la planète, la majorité des peuples en fait. L’exercice est totalement maitrisé, évocateur d’un état de faits et de la nécessité de développer une conscience citoyenne et critique face à l’invasion des fausses informations. D’une certaine façon, l’Agrupación Señor Serrano décrypte aussi les fondements du concept de guerre hybride, leur réflexion est prémonitoire autant qu’instructive. 

Outre sa portée politique, le résultat ne manque ni d’humour ni d’une certaine beauté, comme le corps gelé de l’alpiniste en début de spectacle jusqu’à un Everest qui surgit sur le plateau à la fin, mais reste plus ludique que l’impressionnant  « Birdie » qui traitait avec le même matériel de la question des migrations.

Il faut découvrir le travail de L’Agrupación Señor Serrano qui renouvelle le théâtre de manipulation d’objets et d’images en utilisant avec virtuosité les ressources du numérique. Une école à part entière où l’art du détail explore les enjeux du monde contemporain. 

Louis Juzot

Vu dans le cadre du Paris Globe Festival, le 22 mai au Théâtre Paris-Villette, Le 8 juillet, Festival Sempre più fuori à Rome. Le 8 novembre Teatro Astra à Vicenze.