Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, d’après Mathieu Belezi adapté et mis en scène par Emmanuel Hérault, scénographie, musique, jeu, co-adaptation Marie Moriette, au Théâtre Transversal, Avignon Off 2024.

Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, d’après le roman éponyme de Mathieu Belezi adapté par Emmanuel Hérault qui en signe la mise en scène, la scénographie et la musique, jeu, Marie Moriette qui co-signe l’adaptation et la musique, costumes Stéphane Puault, lumières Sébastien Piron.

Seule en scène, se présente Emma Picard, paysanne habillée, comme dans les tableaux de Millet, de toile rude mais femme d’une volonté farouche qui finira pas être terrassée par une terre inhospitalière.

Son créateur, Mathieu Bélézi, a été inspiré par un souvenir de Guy de Maupassant qui visita l’Algérie et y dénonça les méfaits du colonialisme. Il a construit un récit tragique sur des faits avérés : la colonisation par les pauvres, pendant de celle de grands propriétaires ou d’aventuriers cyniques décrits dans ses premiers romans. 

Les phénomènes naturels qui qualifient  la période du roman, invasion de sauterelles, tremblement de terre, ont bien eu lieu dans les années 1865-1870 dans la région de Sidi-Bel-Abbès.

A l’aune de l’adversité de la nature hostile, le texte de  Mathieu Belezi  ne se singularise pas par l’économie d’effets, mais au contraire, par un flux continu de paroles qui montent  jusqu’à un acmé du malheur et du désespoir. Emma Picard est comme Hécube sur les ruines de Troie, veillant le dernier de sa lignée, peut être déjà mort, en proie à un délire qui va emporter ce qui lui reste de raison.

Sous Napoléon III, l’Empire français voulut installer des colons dans les campagnes algériennes et y envoya des familles pauvres en leur vendant l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi Emma, paysanne de France comme elle le répète, catholique, veuve et mère de quatre garçons, a-t-elle cru au discours séduisant d’un fonctionnaire à moustache qui lui vanta l’opportunité d’exploiter une terre de vingt hectares à Mercier-le-Duc non loin de Sidi-Bel-Abbès. 

Mais le pays de cocagne va vite se transformer en enfer et le travail acharné d’Emma, de ses aînés, de Mékika, ouvrier arabe devenu indispensable à la survie du groupe et membre à part entière de la famille, n’y pourront rien. Les catastrophes s’enchaînent jusqu’à la fin terrible qui explique le visage tuméfié de l’héroïne et sa plainte inextinguible. 

Emma, paysanne qui n’admet pas que Dieu soit si injuste et que la terre ne soit pas source de vie, est victime autant des éléments contraires que de son entêtement, refusant d’écouter les conseils de Jules Letourneur, militant socialiste qui l’incite à le suivre vers la ville.

Marie Moriette qui l’incarne s’appuie sur un jeu naturaliste mais qui reste sobre et réussit à faire passer ce long soliloque exacerbé qui est aussi un dialogue avec la mort et la folie, sans tomber dans l’excès ni dans le timbre froid du récitant. Et malgré les incantations itératives et insistantes lancées contre Dieu, le gouvernement parisien et la terre maudite, on suit avec attention le récit de ce chemin de croix jusqu’à son dénouement.

Le dispositif qui l’environne est simple, une chaise, un berceau mais lumière et musique sont distillées à bon escient. Le tableau est sensible et s’inscrit dans l’esthétique populaire et revendicatrice de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle d’un Courbet ou d’un Zola.

Un travail conventionnel mais senti, remarqué à Avignon l’an passé et qui sera repris au Théâtre Transversal cette année 2024 au Festival Off.

Louis Juzot.

Les 27 et 28 mai, à 21h, au Théâtre Essaion, 6 rue Pierre au Lard, 75004, Paris. Tel: 01 42 78 46 42,  essaion-theatre.com Du 29 juin au 21 juillet, Festival Off Avignon, Théâtre Transversal, 10 rue Amphoux, 84000 Avignon.