Le Coeur de la terre, texte, mise en scène et scénographie de Simon Falguières, au Festival A Vif au Préau à Vire – cdn de Vire-Normandie.

Crédit photo : Margaux Cabrol.

Le Coeur de la terre, texte, mise en scène et scénographie de Simon Falguières, collaboration artistique Louis de Villiers – création avec des adolescents de Vire, de Nanterre et un choeur d’habitantes et d’habitants ornais. Avec les trois comédiens permanents du Préau CDN de Vire Normandie, Douze adolescents de Vire et du bocage (Calvados), vingt-quatre élèves de la classe de terminale du Lycée la Tournelle de La Garenne-Colombes (Lycée professionnel – section numérique), (Hauts-de-Seine), et un choeur d’habitants des communes de Saint-Pierre-d’Entremont et Cerisy Belle étoile (Orne). Avec Sonia Bonny et Lola Roy, comédiennes permanentes au Préau, Louis de Villiers, accessoires Alice Delarue, lumières Léandre Gans,son et musique électronique Hippolyte Leblanc, costumes Lucile Charvet et Lola Guillain.

Pour une trentaine de jeunes du bocage virois et de la banlieue parisienne, Simon Falguières écrit un poème dramatique sur un voyage imaginaire, une ode poétique sans ponctuation, un chant sur le rêve d’un ailleurs. L’auteur et metteur en scène imagine une fable onirique autour de la fuite et des questionnements soulevés par les adolescents lors des premiers ateliers de pratique théâtrale. De ce projet au long cours est né une pièce – une double fable – qui mêle histoire rêvée et parole urgente des plus jeunes, pour l’avenir.

Simon Falguières écrit sur le double mouvement poétique de la catabase – descente dans le monde des morts – et de l’anabase – ascension vers les sommets lumineux – , épisodes ponctuant les grands récits poétiques de l’histoire humaine. Toutes les épopées ont leurs catabases – Dante et La Divine Comédie, Homère et L’Odyssée, Virgile et L’Enéïde.

De jeunes villageois en vacances s’ennuient, fument, parlent, se taisent… L’une d’entre aux, Ella, s’interroge : « Comment savoir si l’on aime vraiment une chose ? », « Comment savoir si l’on vit pour ce que l’on aime ou si l’on vit pour rassurer ses parents ? » Travaille-t-on aveuglément pour obtenir d’abord de bonnes notes, sans réfléchir à soi intimement ?

Un jour, la jeune fille s’enfuit du lycée, marche à travers champs, et au détour du chemin, croise un corbeau qui lui parle et l’emmène au coeur de la forêt. Là est à la fois l’entrée du coeur de la terre et celle de son coeur. Il lui faut en explorer l’intérieur pour trouver réponse à sa question. Le lendemain, l’adolescente demande à un ami de l’accompagner:

 » A la lisière de la forêt j’ai trouvé sous un arbre l’entrée d’un souterrain Je ne mens pas Je suis rentré dedans … De la boue plein les yeux et comme une brume Oui De la brume dans un sous terrain Je ne mens pas Ca fume C’est un tuyau brumeux qui descend dans la terre Au bout du tuyau j’ai vu un escalier en or Je ne mens pas Un escalier en or… Des mains qui sortent des parois tiennent des flambeaux En bas de l’escalier j’entendais chanter Je ne mens pas J’avais peur mais ça chantait beau et j’ai voulu voir et j’ai rebroussé chemin pour venir vous chercher  » (Catabase des jeunes du bocage virois.)

Au lendemain d’un séisme, alors qu’ils étaient en cours de théâtre, des lycéens de banlieue parisienne découvrent à leur réveil une montagne nouvelle surgie de la terre. Tout le monde est mort, sauf eux. Sous les gravats, l’auteur agonisant leur dit d’aller sauver Ella. Ils gravissent la montagne jusqu’au sommet et sauvent l’adolescente. 

« Nous avons toutes et tous vu la frontière La terre promise au loin Parfaite dans son imperfection Le berceau touffu Plein d’eau et de plantes grasses D’arbres tordus et de bêtes sauvages tapies sous les feuillages Au cœur, y coule une rivière Une rivière de larmes Au dessus de la rivière rient les cacatoès et les perroquets Sur les rives de la rivière Les enfants sont là Assis sur le sol tendre… Ils chantent Et les bêtes et les tempêtes et les vers sous la terre se sont arrêtés La mort elle même est suspendue Plus rien en bouge Les enfants chantent. (Anabase des lycéens de La Garenne-Colombes.)

Même situation pour les deux fables : d’un côté, une fuite dans un monde imaginaire pour s’extraire de l’enfermement; de jeunes ruraux partent par un souterrain forestier dans le ventre de la terre. De l’autre, de jeunes citadins se réfugient dans la montagne. L’onirisme inventif des jeunes gens mène d’emblée à une utopie inconnue. Fiction épique et rêveuse, parole réelle juvénile sublimée par le merveilleux : « La fiction va nous sauver !»

La descente d’un côté, l’élévation, de l’autre, deux voyages intérieurs et échappées en vue d’une terre prometteuse – salut et accomplissement. La mise en scène de Simon Falguières place en majesté le collectif scénique, plus de trente interprètesprésents chacun ici et maintenant et à l’écoute de la parole environnante, percutante de conviction.

Un choeur de prose poétique par des acteurs réunis sur le plateau – belle ligne frontale face public -, distribuant une parole à la fois intime et universelle sur les questionnements existentiels que les locuteurs prennent plaisir à nommer, tels des apprentis philosophes intuitifs qui s’ignoraient alors jusqu’à ce qu’ils se rencontrent et s’expriment haut et fort.

Un rendez-vous théâtral sensible, sans faux-semblants esthétiques, avec l’âpreté sincère de l’intensité des désirs que l’on porte en soi, et des promesses qu’on sait prêtes à bondir.

Véronique Hotte

Le Coeur de la Terre est une création participative – aventure humaine et artistique – entre la compagnie Le K, Le Préau CDN de Vire, Le Théâtre de Nanterre Amandiers et Le Moulin de l’Hydre. Le Coeur de la Terre est une création participative – aventure humaine et artistique – entre la compagnie Le K, Le Préau CDN de Vire, Le Théâtre de Nanterre Amandiers et Le Moulin de l’Hydre. Production Le Préau, coproduction Le K et Nanterre-Amandiers, avec le soutien du Moulin de l’Hydre, avec l’aide de la DRAC Normandie. Du 21 au 28 mai 2024 – dans le cadre du Festival A Vif, Le Préau à Vire. Le 25 mai à 16h au Moulin de l’Hydre à Saint-Pierre-d’Entremont (Orne). Le 8 juin à 18h au Théâtre Nanterre-Amandiers, CDN (Hauts-de-Seine).