Héliogabale – Drame en quatre actes – de Jean Genet, édition établie et présentée par François Rouget, NRF, éditions Galllimard, 2024.

Héliogabale – Drame en quatre actes – de Jean Genet, édition établie et présentée par François Rouget, NRF, éditions Galllimard, 2024.

Juin 1942. Jean Genet est incarcéré à la prison de Fresnes, condamné à huit mois de réclusion pour vol de livres. A trente et un ans, le détenu n’a encore rien publié; mais la cellule est un lieu propice à l’éclosion de son talent littéraire. Il y écrit son premier roman, Notre-Dame-des-Fleurs, et le long poème Le Condamné à mort.

L’attrait du théâtre se fait déjà sentir, comme en témoigne Héliogabale, ce drame à l’antique dont un manuscrit a enfin été retrouvé à la Houghton Library. L’existence de cette pièce était attestée, Genet l’ayant fait lire à quelques proches et ayant exprimé le souhait qu’elle soit publiée et créée – avec Jean Marais dans le rôle-titre. Rien de cela n’eut lieu et l’écrivain n’y revint plus.

Voilà donc, plus de quatre-vingt ans plus tard, la mise en scène des dernières heures d’Héliogabale, jeune prince roman assassiné, telles que Genet les a rêvées et méditées. 

Au travers de cette figure solaire, hautement transgressive et sacrificielle, à laquelle Antonin Artaud avait consacré un essai flamboyant en 1934, Genet aborde les thèmes qui lui sont chers, dans les règles de l’art mais en laissant affleurer un lyrisme bien tenu: le travestissement et l’homosexualité, la sainteté par la déchéance, la beauté par l’abjection.

Un envers du monde social où l’auteur, apprenti dramaturge, entend déjà trouver ses vérités, situer son oeuvre à venir et inventer sa propre légende. (Quatrième de couverture)

Lisons quelques extraits de la brillante préface de François Rouget : 

« (…) Le sujet d’Héliogabale est l’évocation des dernières heures d’un condamné à mort, ou plutôt d’un empereur romain dont le destin funeste est scellé. Jean Genet choisit de raconter librement le complot dont Varius Héliogabale fit l’objet, et qui aboutit à son éviction du pouvoir, le 11 mars 222. 

Cet épisode historique avait tout pour séduire le jeune écrivain. Il présentait le portrait d’un Syrien devenu empereur grâce aux manigances de sa grand-mère, Julia Maesa, de la dynastie des Sévères et soucieuse de rétablir celle-ci sur le trône romain…. En 218, après la bataille d’Antioche qui vit la défaite des troupes de Macrin, puis l’assassinat de celui-ci, Varius fut porté par son clan et monta sur le trône de Rome.

Son règne offrit l’exemple de nombreux scandales, de crimes et d’exactions qui suscitèrent la colère de sa famille et l’émoi populaire… Le meurtre sauvage de Varius Héliogabale et de sa mère, le 11 mars 222, fomenté par un soulèvement des prétoriens, mettait fin à quatre années de règne, marqués par la fragilisation des institutions et la discorde familiale….

(…) Dans cet épisode de l’Histoire, Genet trouvait un exemple de transgression, de lutte fratricide pour le pouvoir et d’abjection morale. Du récit qu’en donnent les chroniques anciennes, il en extrait une tragédie humaine, celle d’un empereur illégitime, placé malgré lui à la tête de l’Empire par des femmes qui s’étaient servies de lui pour assouvir leur soif de pouvoir.

(…) Choisissant délibérément la jouissance du mal, révolté contre l’ordre dominant st sur le point de diviser l’empire pour le distribuer au peuple, Héliogabale constitue une menace pour les siens :

Les Chrétiens sont capables d’en faire un saint. (…) Saint Héliogabale ! (p.18)

De fait, tout au long de la pièce, l’Empereur montre des marques de sa métamorphose en saint; il est mû par un désir de mort, de décompositions physique, mais aussi de conversion qu’il tente de faire adopter par son compagnon de vice, le cocher Aéginus.

Tout dans l’attitude d’Héliogabale, le vêtement (une souquenille de laine), le choix de l’humiliation, les sacrilèges, le reniement de ses proches et le renoncement au monde, fait de lui un être en quête de sainteté qui doit passer par l’expérience de l’humanité ou du martyre (Tu n’es plus qu’une couronne d’épines), lui fait remarquer Aéginus).

Que son anéantissement prenne place dans les latrines en est une preuve de plus, une fin abjecte dont les images du fumier et des crachats étaient prémonitoires.

Le rêve de sainteté côtoie chez Héliogabale, dieu solaire en quête de « délivrance », l’humanité la plus brute. Paradoxal, il cultive les contradictions. Homosexuel déclaré, il courtise les femmes. Chef suprême, doté des pleins pouvoirs, il recherche la compagnie des prostituées et des criminels dans les quartiers mal famés de Rome. Régnant au Palais, sur le Sénat et l’armée, il se conduit en plébéien. Les dérèglements de sa conduite choquent tout le monde, ce qui le ravit. Ses travestissements « en voyou,  en marlou, en fille » (p.47) et ses jeux de rôle le conduisent à effacer sa présence pour mieux dominer. Ses crimes sont motivés par un désir de beauté, l’abjection étant une manière d’être au monde et de faire éclater l’ordre moral.

Le lecteur familier de l’oeuvre de Jean Genet aura reconnu les éléments structurants de son imaginaire avec ses thèmes de prédilection (le secret, le complot, la violence, la lâcheté, la trahison, la dérision, etc…). L’atmosphère quasi carcérale du Palais puis du réduit des domestiques, où doit périr Héliogabale des mains de son bourreau, le poids de l’histoire familiale,  la tension propre aux personnages prêts à en découdre afin d’éprouver la jouissance du crime et la beauté du mal ( La violence est bien près de la beauté, p.95) sont des éléments propres au théâtre que Genet met en place dans Pour la « belle » (première version de Haute Surveillance), et qu’il développe parallèlement  dans Le Condamné à mort et dans le cycle romanesque.(…) 

(…) La nouveauté d’Héliogabale est de transposer l’Histoire en un drame humain et fictif dont le principe est d’ériger l’esthétique en morale. Surtout, on est sensible à l’osmose du poétique et du théâtral, d’un imaginaire flottant et d’une action scénique, comme l’écrit si bien Michel Corvin, rajoutons-nous, grand connaisseur du théâtre de Genet. »

Une invitation à plonger dans le rêve noir de l’écriture de Jean Genet.

Véronique Hotte

Héliogabale – Drame en quatre actes – de Jean Genet, édition établie et présentée par François Rouget, NRF, éditions Galllimard, 2024.