Gorki-Tchekhov 1900, adaptation Evelyne Loew, d’après la correspondance traduite par Jean Pérus, (Editions Actes Sud), mise en scène Alfredo Cañavate.

Gorki-Tchekhov 1900, adaptation Evelyne Loew, d’après la correspondance traduite par Jean Pérus, (Editions Actes Sud), mise en scène Alfredo Cañavate, scénographie Anne Guilleray, voix off Nathalie Cornet. Avec Jean-Pierre Baudson et Patrick Donnay.

La vie des deux hommes n’a pas été facile et ils ont chèrement gagné leur vocation littéraire. Tchekhov a dû pourvoir aux besoins de sa fratrie après la faillite de son père commerçant, tandis que Gorki orphelin, autodidacte, a fait bien des métiers avant de vivre de sa plume. C’est peut-être pour cela que leur correspondance dégage une fraternité et une chaleur humaine rare dans le milieu littéraire, exempte de toute rivalité et nourrie d’une admiration réciproque. Evelyne Loew en a conçu une pièce qui fut créée par le Théâtre du Campagnol en 1995. 

Par contre, les deux personnalités sont très différentes et les comédiens qui les incarnent le montrent  bien. Jean-Pierre Baudson est Tchekhov, l’aîné des deux, l’esprit aiguisé, critique  mais dépressif, miné par la maladie pulmonaire qui l’emportera et qu’il soigne à Yalta. C’est un homme solitaire malgré son amour du théâtre et son mariage avec Olga Knipper. En retrait, il  observe le monde, il joue avec un petit pot de fleurs et parle de la nature qui semble son seul objet d’enchantement.

Patrick Donnay est Maxime Gorki et n’est pas « amer » contrairement au nom de plume qu’il s’est donné, homme rond au visage épaté, il est constamment en mouvement. La valise est son objet fétiche. Il n’a pas de port d’attache, voyageant au gré des  assignations à résidence par le pouvoir tsariste que lui valent ses engagements politiques. Autodidacte et d’une apparente candeur, il ne cache pas son admiration pour son aîné et goûte  joyeusement  ses encouragements, malgré ses succès littéraires inattendus. Il a femme  et enfants qui le suivent dans ses exils,  sa soif de justice sociale n’est pas incompatible avec un regard plein d’humour pour ceux qui le traquent ou l’accueillent malgré eux. 

Au gré de leur correspondance, c’est tout un pan de l’histoire du théâtre et de la vie intellectuelle de la Russie à l’orée du Vingtième siècle qui défile : Stanislavski et le Théâtre d’Art , la re-création de La Mouette, le succès des Bas-Fonds. Mais c’est aussi une leçon d’humilité de deux créateurs qui parlent  simplement de leur labeur quotidien comme des artisans, de leur inquiétude, de leur insatisfaction permanente  devant l’œuvre accomplie, et de leurs soucis ménagers ou de santé.

Deux hommes aussi dont l’humanité et l’attention aux autres crèvent les yeux: ils écrivent pour les gens – Gorki n’est pas encore le stalinien qu’il deviendra -, et  se battent chacun à leur façon contre une société inégalitaire, cruelle envers les plus exploités. Tchekhov pourtant en retrait de la vie politique mais déjà très respecté,  n’hésita pas à démissionner de l’Académie Impériale pour soutenir son ami évincé.

Un spectacle conventionnel, quant à la forme, riche et  attachant, quant au fond, et qui résonne fort aujourd’hui  Que pourraient faire ces deux  génies qui servirent  tant leur culture et leur peuple face à la bestialité guerrière triomphante actuellement en Russie, alors qu’ils ont légué un héritage intellectuel et moral si universel ?

Louis Juzot

Spectacle vu le 24 avril 2024 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Du 29 juin au 21 juillet 2024, au Festival Off Avignon, à 15h35 au Théâtre du Petit Louvre, 23 rue Saint- Agricol 84000 Avignon.