Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Christophe Rauck

Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Christophe Rauck

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La pièce de Racine, Phèdre (1677), représente une variante de l’énigme féminine dans la passion amoureuse ;  la fille de Minos et de Pasiphaé est un foyer ardent. Cette figure de clarté paradoxale est devenue une ombre, placée à distance de la lumière du soleil. L’amante tragique se consume d’un amour incestueux pour son beau-fils Hippolyte et non plus d’une affection légitime pour son époux Thésée.

Au-delà des « ornements de la fable » et des références à la mythologie grecque, cette femme habitée de fureur et de violence condense en elle-même le poids de l’hérédité.

L’héritage symbolique se transforme en malédiction quand l’amour aliène la liberté et quand l’ardeur du désir emporte tout sur son passage en bousculant les interdits et en dégageant des sentiments incontrôlables – la jalousie et la honte qui mènent à une mort choisie, le salut ultime dans cette aventure étrange et amère.

En portant à la scène ce poème dramatique en alexandrins, Christophe Rauck bouscule la rigueur classique au profit d’une lecture baroque, foisonnante d’images.

D’emblée, la priorité de la scénographie est donnée aux espaces imaginaires.

Côté jardin, s’élève une somptueuse structure onirique et métallique élevée, composée de protections de ferraille de membres humains – pieds, jambes et bras -, de têtes sculptées de chevaux d’acier, un amoncellement gigantesque de morceaux désagencés d’armures militaires destinées à protéger les combattants et leur monture, mais aussi à impressionner leurs adversaires.

Cette sculpture scintillante sous les lumières du théâtre s’accorde avec des panneaux de tapisserie accrochés, des rappels de détails italiens de grandes fresques guerrières peintes, tel le parallélisme des chevaux et des lances tendues.

Côté cour, sont posées des parois verticales avec des ouvertures qui laissent deviner un palais aux miroirs cassés, comme si les époques se chevauchaient.

Les représentations imaginaires sont des évocations fugitives et gravitent autour de noms légendaires aux références mythologiques : Vénus, Neptune, Thésée et le Minotaure.

Survient encore la réapparition de Thésée qu’on croyait mort, une scène hallucinatoire qui prend vie sous les yeux ahuris du public.

Thésée s’extraie  physiquement des Enfers en s’arrachant des profondeurs, faisant sauter du coup quelques lattes de parquet, un Thésée monstrueux, tout en armure lourde et à la tête de taureau.

Ce monstre humain est une erreur de la nature, c’est un être fantastique et de légende qui a lui-même anéanti d’autres monstres et affronté d’autres animaux chimériques, le Minotaure, à moitié homme et taureau, et le dragon sorti de la mer d’après le récit de Théramène. Ces monstres spectaculaires tentent de faire équilibre à une autre présence hyperbolique, le monstre moral « affreux, effroyable, exécrable », enfoui dans le tréfonds de Phèdre au comportement contre-nature.

La difformité morale s’annonce bien plus troublante que la monstruosité physique. Objet de passion, de dérèglement et victime de la fatalité, Phèdre ne se supporte plus elle-même, écartelée entre la faute qu’elle doit garder silencieuse et le besoin d’épanchement. La direction d’acteurs privilégie la colère, le déséquilibre et le malaise infernal qui envahit l’être racinien. Cris, hurlements, corps éperdus en mouvement, les affrontements sont souvent violents. Dignes toujours, les personnages n’hésitent pas en même temps à sortir de leurs gonds.

Camille Gobbi a la belle fermeté de la jeune Aricie, de même Pierre-François Garel qui interprète Hippolyte jouit d’une autonomie naturelle. Les « seconds » rôles s’appuient sur une grâce tragique, Flore Lefebvre des Noëttes est une Ismène inspirée, Julien Roy un Théramène sûr et persuasif, Nada Strancar une Oenone délicate.

Quant à Olivier Werner pour Thésée, il a l’allure vive et ample d’un cosaque à la Tarass Boulba au manteau de fourrure.

Cécile Garcia Fogel, la figure éplorée de Phèdre, joue dans une belle inquiétude les ruptures et les brisures de l’être.

Véronique Hotte

Du 6 mars au 6 avril, lundi, jeudi, vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h au Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis. Tél : 01 48 13 70 00