La Vie dure (105 minutes), création conçue en collaboration par Camille Dagen, Emma Depoid (Animal Architecte), et Eddy D’aranjo, conception Camille Dagen et Eddy D’aranjo. Au CDNO – Orléans/Centre-Val de Loire, les 3 et 4 mai 2023.

La Vie dure (105 minutes), création conçue en collaboration par Camille Dagen, Emma Depoid (Animal Architecte), et Eddy D’aranjo, conception Camille Dagen et Eddy D’aranjo, en deux parties alternativement dirigées par chacun en collaboration dramaturgique avec l’autre, dans une scénographie d’Emma Depoid. 

Avec les comédiens de l’ensemble artistique du Théâtre Olympia, Alexandra Blajovici, Marie Depoorter, Cécile Feuillet, Romain Gy, Nans Mérieux. Création son et régie vidéo, Maël Fusillier, création lumière et régie plateau Léa Dhieux, création costumes Emma Depoid,et la collaboration de 5 enfants de 7 ans et 5 personnes âgées de la région de Tours.

En 2020, Jacques Vincey – directeur du CDN Tours – invite Camille Dagen et Emma Depoid, co-directrices d’Animal Architecte, ainsi qu’Eddy D’aranjo comme artistes associés au Théâtre Olympia. Depuis l’école du TNS, où ils se sont rencontrés tous les trois; ils se penchent sur l’amitié entre concepteurs – une réflexion initiée avec Bandes (deuxième création d’Animal Architecte). 

Ensemble, ils imaginent un projet co-dirigé, brouillant ouvertement la signature individuelle.

Lors de la pandémie de Covid-19, le trio réfléchit sur le territoire dans la ville et sur le lien, menant avec des habitants une enquête locale à reproduire ailleurs – un jeu et d’abord, un questionnaire pour la prise de contact de cet esprit de « territoire » avec l’espace/temps inscrit dans les corps.

Sur la scène, un objet autonome et plastique, une installation à poser sur la place d’un marché, une salle des fêtes, un stade de sport, et en réduction, dans une salle de classe. Un mouvement double – intimité rassemblée en plein air et invitation à regarder l’architecture quotidienne alentour. 

La scène est un poème qu’égrainent à plaisir les concepteurs éclairés : chapiteau contemporain, assemblée intime, boîte blanche autonome, installation plastique et performative avec gradin. Scène et salle réunies dans la boîte orthogonale à l’espace partagé et aux rideaux coulissants. 

Accompagnés par cinq acteurs du JTRC, des ateliers ont été menés avec deux groupes de non-acteurs – cinq enfants de sept ans et cinq seniors de plus de soixante-dix ans : l’enfance et la vieillesse sont attentifs aux souvenirs, et les mêmes questions leur sont adressées : – Quel est ton plus ancien souvenir ? – De quoi te souviendras-tu toute ta vie ? – Décrire un lieu d’ici aujourd’hui disparu, une musique qui déclenche un souvenir et des provocations de mots, de gestes, de sons. 

Une petite fille se replie dans un coin, tel un cocon, si on lui demande quelque chose de trop précis, repoussant plus loin encore le moment où il faudra bien qu’elle « se prenne en charge ». 

Mimique expressive, bouche pincée, regards qui vont de-ci delà, la fillette éprouve un trouble.

N’est-ce pas la posture que chacun recèle cachée jusqu’à la maturité acquise plutôt tardivement ?

Ecarter l’idée de la mort, du néant, de l’effacement de soi, si ce n’est son souvenir chez les autres.

Un petit garçon anorexique dit qu’il n’a pas d’estomac et qu’il est déjà mort; on apprend que dès trois ou quatre ans, la possibilité de ne plus éprouver le moindre goût à la vie est perceptible. Et certains sont saisis, dès « l’âge de raison », par l’idée du suicide, estimant qu’ils ne font plus partie de la communauté des humains, séparés et comme détachés du lien essentiel qui unit les êtres.

En échange, Ibrahim, homme de quatre-vingt-quatre ans, : né en Palestine et ayant fui en Syrie avec sa famille, il vit en France depuis vingt-deux ans, fidèle encore à son frère disparu et à ses migrations diverses, la mémoire ancrée. Et la vie et l’élan à passer les jours, en dépit de tout, le tiennent debout, loyal envers les siens.

De même, une femme âgée et pleine de vie danse sur l’écran vidéo. On nous révèle comme un secret qu’elle a connu les fameux « lieux du possible » dont se moque le facétieux Michel Houellebecq, dans un de ses plus célèbres romans : elle a vécu des expériences fondatrices dans un camping que l’écrivain a dépeint comme un repère d’ex-soixante-huitards et de « pouffiasses karmiques », où lui-même a suivi des ateliers d’écriture pendant dix ans …

On entend – enregistrement audiovisuel et incarnation in vivo sur la scène – une créatrice, Sophie Calle, qui raconte comment elle a choisi de filmer les derniers instants de sa mère. Il en reste un film de onze minutes, diffusé au Festival d’Avignon 2012, où elle met en scène la mort maternelle.

Les personnages évoqués, issus des ateliers, apparaissent sur l’écran blanc du chapiteau ; on les voit dans la simplicité brute de photographies en noir et blanc, la vidéo explorant l’énigme des visages, paysages à eux-seuls à contempler, hors du contexte urbain, et leurs corps sensibles.

Voici pourquoi La vie dure (105 minutes) propose cette forme vagabonde, portrait public, concret et charnel de nos mémoires, tableau collectif joyeux et mélancolique, hanté par la disparition que contrecarrent la vitalité, l’innocence et la beauté fragile des souvenirs qu’on dit éternels –  traces. 

Les interprètes de tous ces vivants, très jeunes ou bien plus âgés, sont excellents de présence tonique, de précision et d’éclat : Romain Gy écrivain artiste et petit garçon ou petite fille, fait une moue enfantine qui ne s’oublie pas, tant elle est juste et révélatrice d’un vague à l’âme persistant.

Nans Mérieux raconte la rencontre amoureuse de ses parents à Tahiti puis leur retour en France, la naissance du fils et de la fille à Marseille, le décès de la mère malade, puis du père… Reste un enfant qui a grandi, suffisamment choyé pour entreprendre la belle aventure du jeu théâtral.

Alexandra Blajovici joue les enfants comme les artistes féminines, engagée, passant d’un rôle à l’autre avec aisance et élégance. Quant à Cécile Feuillet – belle énergie de l’infirmière -, l’émotion la domine, dit-elle, quand elle échange avec les enfants condamnés par la maladie : elle se bat. 

Marie Depoorter, portant les mots de Camille Dagen mêlés à ceux de Simone de Beauvoir, ou soignante enceinte, attentive précédemment en tant que psychiatre à l’enfant anorexique déjà évoqué, reparaît, ayant donné vie et se livrant, laconique, à une « leçon d’accouchement » face à ses étudiants. La scène est grotesque, crue et violente. L’actrice manie l’humour mi-figue mi-raisin et le rire amer pour témoigner avec vérité de l’acte cruel – ce que les femmes subissent, sans qu’on n’en parle pas, soumises à la pudeur et à la réserve.

La vie joue avec la mort, chacun le sait, plus ou moins conscient, sensibilisé ou même touché. La vie dure – et passent les jours -, mais elle se montre aussi profondément dure, en dépit des joies.

Le spectacle oscille entre mélancolie, rire, inquiétude, désir, témoignage, rêve, deuil, renaissance.

Difficulté de la vie – chagrins et épreuves traversées, désir de mort, exil forcé et deuil – mais reconnaissance aussi de l’amour et de l’amitié : le premier volet écrit et mis en scène par Eddy D’aranjo, avec le regard de Camille Dagen. Le second volet, en résonance avec le premier, écrit et mis en scène par Camille Dagen, avec le regard d’Eddy D’aranjo, évoque la durée de la vie, les émotions liées au temps qui passe et mène vers des contrepoints subtils, des regards nuancés. 

Emotions traversées de souvenirs d’enfants et d’adultes que les acteurs ré-incarnent, ils signifient aussi l’humble destinée de souffrance sourde de l’être avec cette aptitude à se relever et rebondir.

Un spectacle à la saveur humaniste qui donne voix, corps et postures aux confidences existentielles sans qu’il n’y paraisse, usant de légèreté et de gaieté au coeur même du spleen – un art de vivre expressif, une attention à l’autre pleine de délicatesse.

Véronique Hotte

Le 3 mai à 20h30 et le 4 mai 2023 à 14h et à 19h, au Centre dramatique national Orléans Centre-Val de Loire.

Amours (2), création théâtrale de Joël Pommerat, à partir des textes – La Réunification des deux Corées, Cet enfant, Cercles/Fictions -, éditions Actes Sud-Papiers.

Crédit photo : Blandine Armand.

Amours (2), création théâtrale de Joël Pommerat, à partir des textes La Réunification des deux Corées, Cet enfant, Cercles/Fictions, éditions Actes Sud-Papiers. Avec Marie Piemontese, Elise Douyère, Roxane Isnard, Redwane Rajel, Jean Ruimi. Collaboration artistique Roxane Isnard, Lucia Trotta, Elise Douyère et Jean Ruimi, direction technique Emmanuel Abate, assistantes à la mise en scène Lucia Trotta, Saadia Bentaieb. Spectacle vu au Pavillon Villette, Porte de La Villette. Les 3 et 4 mai, Châlons-en-Champagne, La Comète, Scène nationale la-comete.frLes 23 et 24 mai, Boulazac, Agora Boulazac, Pôle national Cirque agora-boulazac.frLes 8 et 9 juin, LENS, Musée du Louvre-Lens louvrelens.fr

L’auteur et metteur en scène Joël Pommerat intervient à la Maison Centrale d’Arles depuis 2014. Un premier spectacle en 2015 Désordre d’un futur passé de Jean Ruimi a été l’occasion de représentations ouvertes au public et à la presse, suivi en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen par un autre spectacle, Marius, une réécriture de la pièce de Marcel Pagnol, avec le même groupe de détenus, un spectacle présenté à la Maison Centrale d’Arles en 2018, et dans les anciens ateliers des Baumettes historiques en 2019, dans le cadre de l’« Adieu aux Baumettes ». Et le travail régulier avec ces détenus à la MCA a conduit à la créations d’Amours (1) en 2019.

Pour ce spectacle, Joël Pommerat, tenu par les contraintes de logistique d’une démarche théâtrale en prison, décide de se passer de décor, lumière, son, costumes, accessoires, pour n’utiliser que quelques chaises de la salle nue de l’atelier de théâtre. La jauge est réduite à l’extrême pour une salle disposée en fer à cheval; les comédiens jouent dos au mur du lointain ou sont assis, ou s’installent avec les spectateurs sur une des rangées de sièges et font face à leur interlocuteur.

Installés, les spectateurs attendent que le silence se fasse pour que le spectacle advienne ; or, deux hommes parlent sans trop élever la voix, ils se disputent et s’opposent manifestement. Vont-ils se taire ? Le public réalise assez vite qu’Amours (2) a déjà commencé. Jean Ruimi joue le père, et Redwane Rajel le fils, les deux locuteurs improvisés s’expriment sèchement, ostensiblement en colère. Le plus jeune n’admet pas la violence paternelle subie dans son enfance, jusqu’à présent. Pourquoi ne pas savoir parler à son fils ? Le père fait amende honorable : il n’a pu faire autrement.

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L’Avare de Molière, mise en scène de Benoît Lambert. Une fête scénique qui plaide pour la jeunesse et le temps qui va.

Crédit photo : Sonia Barcet.

L’Avare de Molière, mise en scène de Benoît Lambert, assistanat à la mise en scèneColin Rey, scénographie et création lumièreAntoine Franchet,création sonJean-Marc Bezou,costumes Violaine L. Chartier, maquillageMarion Bidaud. Avec Estelle Brémont, Anne Cuisenier, Baptiste Febvre, Théophile Gasselin, Étienne Grebot, Maud Meunissier, Emmanuel Vérité.Les 20 et 21 avril 2023 au Théâtre Louis Aragon, Scène conventionnée, Tremblay-en-France. Du 26 au 28 avril 2023, Théâtre d’Angoulême, Scène nationale. Les 3 et 4 mai 2023 Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon.

L’Avare, pièce à laquelle s’attache avec une inspiration amusée Benoît Lambert, directeur de la Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national, est une grande création de Molière. « Tout, dans cet homme, respire l’avarice et la décrépitude. Rongé par une maladie de corps, Harpagon l’est aussi par une maladie de l’âme. Ladre, il rogne sur la nourriture et les habits de ses domestiques, sur l’avoine de ses chevaux, sur l’entretien de son fils… Usurier, il prête à des taux exorbitants, calcule, évalue tous les objets qui l’entourent… » (Georges Couton, L’Avare, Molière)

Alors qu’il s’apprête à marier sa fille avec un riche seigneur, et qu’il envisage lui-même d’épouser en secondes noces une jeune fille du voisinage, le vieil usurier voit s’abattre sur lui un enchaînement de catastrophes : conflits avec son fils, querelles avec ses valets, mensonges de son intendant… jusqu’au vol du trésor qu’il avait enterré dans son jardin. 

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Le Verso des Images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart. Compagnie Atelier Hors Champ. Au Théâtre de L’Echangeur à Bagnolet.

Crédit photo : Atelier Hors Champ

Le Verso des Images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart. Compagnie Atelier Hors Champ. Extrait de Les Mains de Louis Braille d’Hélène Jousse (édit. J-C Lattès) Avec Sophie Pernete et Aglaé Bondon. Collaboration artistique Serge Cartellier, création et régie lumière et générale Soraya Sanhaji, création sonore et vidéo Frédéric Tétart.

Louis Braille (1809-1852) est l’inventeur d’un système tactile à points en relief à l’usage des personnes aveugles et malvoyantes permettant d’écrire et de lire l’alphabet et la musique. Le Verso des images raconte, décrit et joue l’aventure lumineuse de ce génie. Composition sonore, musicale et immersive pour les non-voyants, composition sonore et visuelle pour les voyants, partagée par les enfants et les adultes voyants et non-voyants.

Une manière patiente de performance sensitive sur un long chemin d’accomplissement, avec Pascale Nandillon et Frédéric Tétart pour maîtres d’oeuvre d’un spectacle précieux jouant du théâtre d’objet, d’ombre, de vidéo, de musique et de chants infinis des oiseaux.

Sur scène, les deux comédiennes éclairées, Sophie Pernete et Aglaé Bondon : l’une porte le récit, la description et la parole de voix diverses – mère, amis du protagoniste, l’autre celle de Louis Braille qui alterne parole intérieure, sensations et échanges verbaux. Les interprètes font vivre figures, objets, matières, et se mouvoir la topographie du plateau. C’est aussi une transposition picturale et sonore des événements, accomplie en direct.

La sensation du toucher – essentielle pour le non-voyant ou le mal-voyant – est sensible sur le plateau grâce à une palette graphique qui vidéo-projette des dessins réalisés en direct, restituant la sensation tactile, illuminant et colorant les objets effleurés par Louis. Les sensations olfactives sont presque convoquées, l‘odeur du cuir, de la moisson d’été.

Le spectacle invite la dimension historique de l’alphabet braille, vertu pédagogique et poétique pour le public, une histoire d’émancipation des non-voyants : « …Valentin Haüy, puis Louis Braille…, une époque de bouillonnement qui voit émerger en moins de cinquante ans le décryptage de la pierre de Rosette par Champollion, la naissance du Braille, celle du morse, du télégraphe, d’une multiplicité de codes et de signaux…, un intérêt pour l’apprentissage des langues étrangères, la quête incessante d’un langage universel nourrie de l’humanisme des Lumières et de la Révolution française. »

A trois ans, Louis Braille perd la vue en se blessant l’oeil, un accident domestique d’enfant – il emporte dans sa mémoire de lointaines images, une foule de sensations : un cheval, la lumière de l’été, son ombre sur le mur, le vent dans les feuilles, les mains de son père dans l’atelier de sellerie, la porte au fond du jardin, l’odeur du cuir, une flaque de pluie…

Toutes choses re-trouvées sur le plateau poétique jusqu’aux raies de lumière de la porte.

Louis Braille a inventé une écriture qui laisse les enfants libres d’accéder seuls au savoir, à la musique qui remplit la vie, transcende le langage; l’enfant passe ses nuits à peaufiner son invention, à encoder livres et partitions pour ses semblables – un immense organiste.

Professeur pour les élèves non-voyants dans l’Institut, il tombe malade: ses transcriptions  sont brûlées dans la cour de l’école durant son absence, l’utilisation de son alphabet est interdit aux enfants qui s’opposent à l’arbitraire; l’intuition sera reconnue, enfin victorieuse.

L’histoire d’une résistance, d’un élan salvateur vers la lumière – propre et symbolique – assumé par les enfants près de l’inventeur pour l’accès à la lecture, à l’écriture libératrices.

Le rêve scénique, le spectacle poétique d’une aventure fondatrice posée en majesté, la conviction tenace de la raison et de l’ouverture à l’autre, au monde et à soi. A travers sensations auditives, musicales, verbales, tactiles et visuelles, beau rendez-vous.

Véronique Hotte

Spectacle tout public à partir de 9 ans, voyants et non-voyants. Du 19 au 22 avril 2023,  14h30, jeudi 10h30 et 14h30, samedi 16h, au Théâtre de L’Echangeur à Bagnolet. Tél : 01 43 62  71 20, www.lechangeur.org