
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.
Dans ce jardin qu’on aimait, conception et mise en scène Marie Vialle, d’après Pascal Quignard, avec Marie Vialle et Laurent Poitrenaux.
Marie Vialle entretient un compagnonnage fidèle avec Pascal Quignard dont elle a déjà mis en scène deux textes « le nom sur le bout de la langue » et « Triomphe du temps » au Théâtre de la Bastille.
A rebours des tendances d’un théâtre visuel et démonstratif, elle nous invite à l’écoute attentive des mots, d’un récit poétique qui tient aussi un peu du collage car nombreux sont les emprunts à des auteurs, peintres, musiciens insérés dans le texte de Pascal Quignard.
Tous ces mots font l’apologie du respect et de l’écoute de la nature, donnant à l’art un objet ultime, celui de reproduire la quintessence du chant, de la couleur, des formes que l’homme oublie, ou pire, détruit irrémédiablement : matière, flore et faune, et en l’occurrence ici, les multiples nuances des pépiements d’ oiseaux. C’est une allégorie raffinée du combat écologique doublé d’une leçon de méditation.
C’est aussi un recueil poétique et quasiment scientifique sur les oiseaux, avec des noms connus ou rares et recherchés. On pense justement à la Pensée sauvage de Lévi-Strauss, décrivant la multiplicité des termes de certains peuples d’Amazonie, pour nommer ce qui est pour un occidental une même plante. Pour nous, ce qui n’est qu’un brin d’herbe reçoit pour ces peuples un champ sémantique beaucoup plus étendu, en fonction de la maturité, de la couleur, de la consistance ou de la forme..
Comme Simeon Pease Cheney va écouter les bruits de la nature du chant le plus sophistiqué d’un oiseau à celui de l’eau qui goutte pour les transformer en musique.
L’homme vécut dans la deuxième moitié du dix neuvième siècle à Geneseo dans l’Etat de New York, pasteur d’une petite communauté, vivant sur une terre forestière et sauvage à l’époque. Son épouse a aménagé un jardin aux abords du presbytère, elle décède après avoir mis au monde leur fille Rosamund.
La fable reprend l’histoire de Rosamund qui est chassée par son père, obsédé par le souvenir de sa femme. La jeune fille de vingt huit ans part à New York puis revient quelques années plus tard vivre auprès du pasteur en son jardin.
Marie Vialle incarne Rosamund, d’abord récitante, elle nous conte les affres de la passion morbide du pasteur pour sa défunte épouse, puis incarnant la jeune femme dans son séjour à New-York, son retour et son union spirituelle et artistique avec son père dans un travail musical de recréation de la nature.
Pour l’accompagner, Laurent Poitrenaux joue le pasteur. Autant dire du haut de gamme, à la lisière de la folie quand il va s’immerger nu dans l’étang aménagé par sa veuve, habité quand il écoute les oiseaux ou l’eau tomber goutte à goutte, provocateur face à ses ouailles, réconcilié avec la vie grâce à sa « naturothérapie » intérieure.
Les deux acteurs évoluent séparément puis réunis, sifflant , « borborygmant », imitant de concert les pépiements des oiseaux.
Un espace central couvert de dalles de cuivre où se reflètent des couleurs bleutées ou mordorées pour suggérer le jardin foisonnant que l’acteur arpente seul et fantomatique dans la première partie du récit.
Deux estrades sont installées face à face, à jardin et à cour, de l’une sont projetées des photos sépia de New-York, évoquant le monde extérieur. La scénographie est au service du verbe (Yvett Rotscheid ), comme l’ambiance sonore et le clair obscur permanent (Nicolas Barillot et Joêl Hourbeigt) qui habillent les mots.
L’histoire se prête à plusieurs interprétations, mais elle recèle un matériau poétique de haute intensité que la langue précise et classique de l’auteur rend délicatement.
Un moment de sérénité posé dans le monde agressif de la ville, écouter une langue ciselée, c’est déjà écouter un peu le chant des oiseaux.
Louis Juzot
Jusqu’au 2 février 2023 à 20 heure, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris. Tel : 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com Du 8 au 11 février 2023, au Théâtre Garonne, Toulouse. Du 28 mars au 7avril 2023, Théâtre des Célestins, Théâtre de Lyon. Les 11 et 12 avril à La Comète, Châlons–en-Champagne.