Une démocratie splendide d’arbres forestiers, d’après l’oeuvre et la correspondance de John Keats, texte additionnel, conception & jeu Nicolas Struve, musique, claviers & jeu Mico Nissim.

Crédit photo : Aprèslapluie

Une démocratie splendide d’arbres forestiers, d’après l’oeuvre et la correspondance de John Keats, adapté d’une traduction originale de R. Davreu (ed. Belin), texte additionnel, conception & jeu Nicolas Struve, musique, claviers & jeu Mico Nissim, scénographie Raymond Sarti, lumières Antoine Duris, collaboration artistique Sophie Mayer et Stéphanie Schwartzbrod.

Après De la Montagne et de la Fin (M. Tsvetaeva) et Correspondance avec La Mouette (A. Tchekhov), Une splendide démocratie d’arbres forestiers est le troisième spectacle que Nicolas Struve consacre à un auteur, à une écriture, à une lecture, ici à celle de John Keats (1795-1821). 

« J’ai dans l’idée qu’un homme pourrait passer une vie fort agréable de la manière suivante : qu’il lise un certain jour une certaine page de pure poésie ou de prose distillée et qu’il erre avec elle, qu’il musarde dessus, qu’il réfléchisse à partir d’elle, qu’il l’habite, qu’il se livre à son exégèse et qu’il rêve sur elle, jusqu’à ce qu’elle devienne insipide – mais quand le sera-t-elle ?Jamais.» (Lettre à J. H. Reynolds du 19 février 1818). 

Sa tragique existence – Keats disparaît à vingt-six ans -, sa maîtrise de l’écriture et sa pensée évocatrice de poésie ont fasciné les modernes – un génie précoce de la littérature anglaise.

Le spectacle de Nicolas Struve est construit à partir de bribes de lettres et de poèmes, que l’interprète tient dans sa main, mais dont il se libère aisément, soit la tentative scénique, au-delà du temps et de l’espace, de se rendre présent à celui auquel on s’adresse et à soi-même. Un travail théâtral d’imagination, à partir de la mélancolie, la fantaisie et l’humour – l’épreuve de la vie, souffrance et douleur, manque et insatisfaction -, et des adresses toujours porteuses d’espérance.

« John Keats était londonien, pauvre, le fils aîné d’un palefrenier qui mourut en 1804 d’une chute de cheval. Sa mère semble avoir été une femme de caractère gai, affectueuse, très attachée à son premier enfant. Le second fils, George, émigra plus tard aux États-Unis, le troisième, Tom, mourut en 1818, ce dont John eut un immense chagrin. Une jeune sœur, Frances, née en 1803, s’efforça de comprendre son frère et correspondit avec la fiancée de celui-ci, alors qu’il se mourait de tuberculose en Italie. » (Henri Peyre, John Keats, Encyclopaedia Universalis).

La Reine des fées de Spenser révéla sa passion pour la poésie. D’origine sociale différente, Keats et Shelley ne sympathisèrent pas. Byron se montra encore plus dédaigneux de Keats, poète « cockney ». Les maîtres de celui-ci étaient Spenser, les lyriques du XVIe siècle et Shakespeare, qu’il médita en voyageant dans l’île de Wight. Il était admiratif aussi de Marlowe, Milton et Dante.

Il entreprit en 1818 un voyage à pied dans l’est et le nord de la Grande-Bretagne, fatal pour sa santé. En dépit des revues rétives aux innovations littéraires. Keats avoue cette année-là – il meurt trois ans plus tard -: « Je crois que je compterai après ma mort parmi les poètes de l’Angleterre ».

Autodidacte, il apprit la mythologie dans les dictionnaires et lut Homère. Les marbres du Parthénon ayant été rapportés de Grèce en Angleterre, il découvrit la beauté plastique. Malgré les attaques féroces de certains critiques, ses dons s’épanouirent vite, avant que la tuberculose ne l’emportât. Après s’être attaché à Fanny Brawne, un premier amour, il alla mourir à Rome, au début de 1821.

Il était attiré par la tendresse féminine et la passion – l’imagination et les sens. Une Mrs. Isabella Jones fut à cette époque (1818-1819) aimée et peut-être lui suggéra le thème de La Veille de la Sainte-Agnès (The Eve of St. Agnes). Puis il promit d’épouser Fanny Brawne dont il était amoureux – des lettres d’amour et de supplication lui étaient adressées -, puis il écrivit ses Odes.

Ses Sonnets et les Odes magnifiques de 1819, à Psyché, à la mélancolie, à un rossignol, sur une urne grecque, à l’automne, associent l’angoisse existentielle à la quête d’une sagesse, conciliant mesure et ferveur, recherche consciente et respect du mystère du monde. Par touches juxtaposées, il emprunte à toutes les sensations – rythme, saveur et alchimie des mots.

« L’humanité́, au lieu d’être une lande sauvage de ronces et d’ajoncs çà et là plantée d’un chêne ou d’un sapin isolé, deviendrait une démocratie splendide d’arbres forestier », écrit Keats.  

Dans un espace de carton – plateau de scène, panneaux de murs, silhouettes dessinées et peintes – sont déclamés les lettres, les poèmes, les commentaires fantasques et amusés de l’acteur. Jeu de marionnettes, fleurs et pinceaux d’artiste-peintre, les petits objets prennent une lumière vive.

Théâtre d’objet, vignettes filmées, poème chanté, lettre entière, trois légers pas de danse amusés, et dans ce fouillis bienheureux se distinguent des figures peintes – l’auteur et ses amis – créées avec Raymond Sarti. Complice et accompagnateur, le musicien et improvisateur Mico Nissim, compositeur, pianiste de jazz et de slam. 

Assis avec le public, Nicolas Struve rejoint sur le plateau Mico Nassim qui s’installe à jardin. Le narrateur s’adresse à la salle, en toute humilité et pour le plaisir d’un partage – la reconnaissance d’une figure emblématique trop méconnue de la poésie anglaise du XIX ème -, dans la proximité d’une Nature verdoyante et rafraîchissante, entre faune et flore, ravivant le promeneur-poète.

Un moment solaire et tonique en ces temps désenchantés de déconvenues et de désillusions.

Véronique Hotte

Les 24, 26 et 27 janvier 2023 à 20h30, Centre de Bords de Marne (Le Perreux – 94). Du 23 février au 5 mars 2023, du jeudi au dimanche à 21h, samedi représentation supplémentaire 17h, – Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie – 75012 – Paris www.epeedebois.com