La Mort d’Empédocle (Fragments) de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin (1770-1843), mise en scène de Bernard Sobel. Une partition verbale et scénique de toute beauté. En hommage à François Tanguy.

Crédit photo : H. Bellamy.

La Mort d’Empédocle (Fragments) de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin (1770-1843), mise en scène de Bernard Sobel, en collaboration avec Michèle Raoul Davis, dramaturgie Daniel Franco, scénographie sous le regard de Richard Peduzzi, réalisation banderole Lise-Marie Brochen, création sonore Bernard Valléry, lumières Laïs Foulc. 

Avec Julie Brochen, Marc Berman, Valentine Catzéflis, Laurent Charpentier, Claude Guyonnet, Matthieu Marie, Gilles Masson, Asile Raïs, et les élèves de la Thélème Théâtre Ecole, Yanis Costantini, Eva De Jesus Flecho, Eliana Frischer, Boris Gawlik, Eva Loriquet, Alexandre Ohanessian, Thibault Saint-Louis, Mathild Schaller, Céline Squiban.

« Je suis monté hier sur l’Etna. Là, je me suis souvenu du grand Sicilien qui jadis, las de compter les heures, proche de l’âme du monde, malgré son téméraire goût de vivre, se jeta dans les flammes admirables.(…), écrit Hölderlin, auteur de La Mort d’Empédocle.

Trois versions d’Empédocle, fragmentaires, inégalement longues, montrent la lutte que mène Hölderlin (1770-1843), avec le sens même de l’histoire d’Empédocle d’Agrigente, médecin, philosophe “pré-socratique” (V ème siècle avant J-C), archétype du révolutionnaire renversant un roi pour instaurer la république, qui se jeta dans l’Etna, d’où ne serait revenue que sa sandale… 

Dans ces trois fragments, Hölderlin “travaille” les raisons mêmes du suicide d’Empédocle, “ennemi mortel de toute existence bornée…” : châtiment d’un coupable sentiment de supériorité par rapport à la nature, retour volontaire et libre à l’origine, enfin, plus près de la légende, sacrifice allégorique censé contraindre les citoyens d’Agrigente à devenir politiquement adultes, en prenant distance avec les rois, la tradition, le passé. (Jean-Pierre Lefebvre, Hölderlin, Encyclopaedia Universalis).

Dans la troisième version, La mort d’Empédocle, la rumeur du monde se fait lointaine. Le chef charismatique, adulé des foules, a été banni. Or, cette exclusion est une révélation, une libération. Débarrassé de l’ambition, de la volonté de transformer les hommes et la société, il est rendu à sa vérité première d’être vivant, confronté à sa mortalité et à son désir, désormais impérieux – : retrouver un accord avec le monde, et ne « faire qu’un avec la Nature » (Hypérion), selon Michèle Raoul Davis, collaboratrice de La Mort d’Empédocle (Fragments) par Bernard Sobel.

La Mort d’Empédocle, à l’origine un poème tragique en cinq actes, marque, de version en version, une évolution vers la sobriété scénique et littéraire dans un désir manifeste d’aller vers l’essentiel. Or, le noyau central des trois versions est celui d’«une libre mort et dans la loi divine». Empédocle vit douloureusement la séparation avec son peuple et avec ses dieux. Hölderlin s’identifie à Empédocle et, à travers celui-ci, au Christ abandonné par son peuple et par Dieu, son Père.

Apparaît le combat du poète pour surmonter la douleur personnelle de la séparation, celle pour Hölderlin qui concerne Diotima, la femme aimée dont il était, de son enfant, le précepteur. Empédocle perd l’accord divin, en se tournant vers la communauté: le sacrifice permet le renouveau de son peuple. (Hölderlin, Oeuvres, sous la direction de Philipe Jaccottet, La Pléiade).

Empédocle choisit la fusion – propre et figuré – avec la Nature, vivant seul sa mort. Le lien délicat à rompre est celui de l’amour du fidèle disciple Pausanias qui l’a suivi dans son exil et doit le quitter. 

Le maître lui confie la lourde tâche de reprendre le flambeau pour ré- enrichir le monde de nouveaux possibles. « Ne faire qu’un avec toute chose vivante. » (Hölderlin, Hypérion). 

Telle est l’invitation, au moment ultime, d’un être surgi de la mémoire ou d’un futur non advenu, Manès, évoquant le philosophe perse du III ème siècle après J.C., fondateur du manichéisme:  Asil Raïs, en tenue traditionnelle indienne, porte le rôle avec allure, telle une énigme mi-figue mi-raisin.

Pour faire entendre la prose poétique souveraine de Hölderlin, entre idéalisme allemand, sensibilité romantique et contemporaine – vocabulaire, rythme ternaire, oppositions esprit-matière, art-nature -, il fallait des interprètes aptes à porter cette grande parole esthétisante et évocatrice.

Julie Brochen, Valentine Catzéflis, Gilles Masson, et Marc Berman, Claude Guyonnet, en alternance, sont au rendez-vous de la scène, se coulant dans leur personnage tragique, volontaire et déterminé, et consentant spontanément et avec justesse à la volubilité de leur parole poétique. 

Laurent Charpentier pour Pausanias impose son évidence théâtrale remarquable, voix claire et sonnante. Matthieu Marie qui reprend le rôle du héros charismatique et controversé, ne cesse de s’interroger, calme et souverain, à l’écoute simultanée et sincère de l’autre et de soi. Avec à la main le texte de la pièce et son petit carnet d’écriture, il assure le rôle de maître d’art et d’ouvrage.

Avec le choeur vivant des jeunes gens, enfants de la cité, les élèves de la Thélème Théâtre Ecole.

Dans un espace vide sur lequel surgissent les comédiens venus de la salle, depuis le haut des gradins, scène dont les trois portes – voûtes arrondies de pierre – font apparaître la lave lumineuse de l’Etna en fusion, des couleurs rougeoyantes soutenues par la sonorisation des éruptions volcaniques, s’accomplit, préparée, l’atteinte à sa vie, choisie irréversiblement par le thaumaturge.

Grand plaisir de théâtre où résonne la force poétique verbale – écho à la conscience existentielle.

Véronique Hotte

Du 19 janvier au 05 février 2023, du jeudi au samedi 21h, samedi et dimanche 16h30, relâches lundi, mardi, mercredi, au Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie 75012 – Paris. www.epeedebois.com 

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