
Crédit photo : Alain Richard
Qui je suis ?, texte et mise en scène Mylène Bonnet, dramaturgie May Bouhada avec la collaboration de Zhuoer Zhu, traductions Zhuoer Zhu, images Flavie Trichet-Lespagnol. Avec Caroline Filipek, Haïni Wang et Zhuoer Zhu.
Mylène Bonnet a voulu rendre hommage aux femmes chinoises qui ont affronté les bouleversements radicaux du vingtième siècle avec une opiniâtreté et un courage méconnus, malgré les douleurs et les sacrifices.
La référence à la Nora de « la Maison de poupée » court le long du spectacle
Par souci de vérité et d’une forme de respect compréhensible, son spectacle est conçu sur des interviews avec des femmes issues de la diaspora chinoise, vivant en France. La fermeture des frontières, conséquence de la pandémie, ne lui a pas permis de mener cette enquête en Chine.
La conceptrice a utilisé un questionnaire conçu par Wajdi Mouawad qui, par ses questions simples, va au cœur du quotidien et de la vie des intéressées, et crée une forme d’intimité entre l’enquêtrice et les femmes qui se confient.
Pour théâtraliser ce témoignage sur la condition féminine, Mylène Bonnet a recours à deux procédés qui se superposent.
Le premier est celui de la relation directe de l’enquête. Une comédienne, Caroline Filipek, incarne l’enquêtrice et la comédienne, traductrice et auteure d’origine chinoise, Zhuoer Zhu, porte la parole des femmes. Elles dialoguent sans arrêt, en contact direct avec les spectateurs dans un espace qui est balisés d’éléments et d’objets rappelant le chez soi et surtout la cuisine, lieu de relégation et de parole des femmes.
Le second fait appel à Haïni Wang qui, habillée à l’ancienne, va incarner les femmes des générations passées, grand-mères et mères. Elle apparaît dans un cercle de lumière, comme une allégorie en fond de scène, d’abord statique puis s’animant jusqu’à entourer le périmètre de la cuisine d’un cercle de riz qui peut symboliser l’enfermement et la liberté, mais aussi la précarité et la fragilité.
Se dédoublant et sortant de son rôle passé et de son silence, elle devient, dans la dernière partie de la pièce, une jeune femme d’aujourd’hui qui interpelle sans relâche la femme interviewée.
Les histoires s’enchaînent, des plus lointaines comme le transport d’une femme enceinte sur une porte dégondée par quatre consoeurs pour l’amener par des chemins escarpés à la ville où se trouve la sage-femme : la force et la dureté de la vie – le statut précaire des filles et des femmes.
La génération suivante, celle qui a subi la révolution dite culturelle, l’affectation forcée des étudiantes dans les campagnes, puis les logements partagés et le renoncement à toute individualité. Même si les avis sont partagés, le conditionnement communiste a laissé son empreinte dans l’absence de tendresse et la rudesse des relations mère-fille; ce qui n’exclut pas l’amour, évidemment. Tian’anmen est évoqué …
L’école est une valeur cardinale de la société chinoise et son injustice potentielle, dès lors que le maître a tout pouvoir, le rôle des grands-mères et le déchirement des mères qui confient leur fille à ces dernières.
Mais face à ces douleurs, restent une résilience et une combattivité constante. Le chinois en tant que langue ignore les temps, la nouvelle génération des femmes est tournée résolument vers l’avenir,
Un travail documentaire clairement illustré même si la forme théâtrale n’est pas totalement fluide. Les interventions parfois tonitruantes de la comédienne occidentale créent une distorsion, pas forcément bienvenue. Mais la démarche vaut d’être saluée et nous apprend beaucoup sur l’héroïsme quotidien des femmes chinoises.
Louis Juzot
Du 16 au 25 novembre, du mardi au vendredi 19h30, sauf 24 novembre à 14h30 et 25 novembre à 18 h, samedi à 18h30 et dimanche à16h30, MC 93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny. Tel : 01 41 60 72 72.