LWA, autopsie de l’inconscient colonial français, conception et mise en scène Camille Bernon et Simon Bourgade au Théâtre Paris-Villette.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

LWA, autopsie de l’inconscient colonial français, conception et mise en scène Camille Bernon et Simon Bourgade, d’après des récits d’esclaves, les écrits de Frantz Fanon, Delta Charlie Delta de Michel Simonot, et les Cahiers de doléances recueillis par le Collectif ACLEFEU. Collaboration artistique et jeu, Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Bénédicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto. Scénographie Benjamin Gabrié, son Vassili Bertrand, Quentin Hilaire, lumière Coralie Pacreau, vidéo José Gherrak, costumes Gwladys Duthil.

Etre noir n’est ni une essence ni une culture, mais le produit d’un rapport social : il y a des Noirs parce qu’on les considère comme tels…( Pap N’Diaye, De la question sociale à la question raciale ?, La Découverte, 2006)

« C’est pendant les siècles de l’esclavage que le noir a bu la coupe d’amertume jusqu’à la lie; et l’esclavage est un fait passé que nos auteurs ni leurs pères n’ont connu directement. Mais c’est aussi un énorme cauchemar dont même les plus jeunes d’entre eux ne savent pas s’ils sont bien réveillés. » (Sartre, Situations III)

A partir des soulèvements d’esclaves; de la résistance des corps à la torture militaire pendant la Guerre d’Algérie; et des mouvements des révoltes de 2005, Camille Bernon et Simon Bourgade écrivent cette tragédie pour les temps présents – un spectacle face public par des artistes éveillés.

Matériaux frictionnels et documents réels – récits d’esclaves, témoignages de révolutionnaires, discussions législatives, entretiens psychiatriques, LWA fait écho aux mouvements d’insurrection contemporains. Offrir, selon la formule d’Edouard Glissant, une « vision prophétique du passé ».

Récit des actes et de l’humanité de ceux qui sont restés dans les silences de l’Histoire officielle et  relecture visionnaire du passé tentant de transformer la façon de comprendre et vivre le présent.

Un lwa ou loa est un esprit de la religion vaudou – « Mystère » ou « Invisible » -, des intermédiaires entre le Créateur lointain et indifférent et les êtres humains. Ils sont priés, honorés et servis, selon leurs goûts et leurs attributs, lors de rituels où ils « chevauchent » l’officiant.

« Tous comme les lwas vaudou de génération en génération, pensent les deux concepteurs, nous recevons les fantômes de notre histoire française en héritage, peu importe que nous choisissions de les regarder ou bien de détourner le regard. »

« Le mal qu’éprouvait un seul devient une peste collective. » Camus, L’Homme révolté, 1951.

Pour les metteurs en scène, LWA se fait la thérapie de notre société : il s’agit de regarder collectivement notre passé pour pouvoir espérer changer nos comportements enfin; et en même temps, examiner profondément cet héritage pour ne pas rester complices de la violence en cours.

Sur l’écran du lointain, défilent les images des émeutes et des violences de Clichy-sous-Bois en 2005, suite à la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, poursuivis par la police et réfugiés dans un transformateur électrique à l’intérieur duquel ils meurent électrocutés. S’ensuivirent trois semaines de révolte d’une jeunesse sortie de ses gonds – la ville et alentours.

Du bruit et de la fureur d’abord, les caméras et les télévisions sont rassemblées dans la houle furieuse d’une actualité de jeunes gens en révolte, et le Président de la République du temps, Jacques Chirac (1995-2007), fait et refait son discours, acculé à choisir les mots justes …Ironie.

Les comédiens s’amusent et offrent au public leur énergie, l’un au son, l’autre à la caméra, un tiers au commentaire, tous s’affairent et s’empressent, cernés par un vent d’opposition qui les dépasse. 

Puis, après les tensions maximales exprimées et ressenties, le spectacle fait retour à l’Histoire – un récit tendu et intériorisé par un seul – drame et tragédie – qui remonte à la seconde moitié du XVIII è siècle. Le comédien Jackee Toto revêt la figure emblématique de François Makandal, précurseur légendaire de la révolution haïtienne. Makandal, mort à Cap-Français, le 20 janvier 1758, un esclave marron, meneur de plusieurs rébellions dans le nord-ouest de l’île de Saint-Domingue. 

Accusé de « séduction, profanation et empoisonnement » par le tribunal du Cap Français, il est torturé et condamné à être brûlé vif sur un bûcher. Symbole du « nègre marron » qui se libère lui-même et menace l’ordre colonial, chargé des mystères de la religion vaudou et du souvenir de l’Afrique, grandi par sa fin légendaire, Makandal a fasciné des générations d’artistes.

Assis de dos, capuche sur la tête, l’acteur est filmé ; son visage seul est projeté sur l’écran : l’interprète raconte les révoltes dues au mépris et à la suffisance des maîtres face à l’esclave. L’interprète laisse peu à peu surgir en lui le lwa qui monte et s’élève du tréfonds du personnage. 

Danses collectives, mouvements d’expression corporelle et d’âme, le choeur mouvant des acteurs s’amplifie, puis s’arrête autour de scènes individuelles, porteuses d’une mémoire collective. De la Révolution et de la Première Constitution de la République de 1791 à l’Abolition de l’Esclavage.

Or, l’abolition n’est pas tout : elle n’abolit pas le poids des coutumes et des préjugés. 

Puis l’action se passe dans le cabinet médical du psychiatre et écrivain antillais Frantz Fanon, recevant des jeunes gens algériens meurtris par la Guerre d’Algérie et ses séances de torture. 

« Allons, camarades, il vaut mieux décider dès maintenant de changer de bord. La grande nuit dans laquelle nous fûmes plongés, il nous faut la secouer et en sortir (…). Il nous faut quitter nos rêves, abandonner nos vieilles croyances et nos amitiés d’avant la vie (…) Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre (…) » 

( Les Damnés de la terre de Frantz Fanon – Préface de Jean-Paul Sartre, 1961.)

Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Bénédicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto sont absolument investis dans leur rôle et leur mission à la fois politique et artistique. 

Spectacle voulu comme à la diable, avec beau feu d’artifice de délibérations sur l’histoire coloniale.

Véronique Hotte

Du 17 novembre au 3 décembre, mardi, mercredi, jeudi, samedi 20h, vendredi 19h, dimanche 15h30, relâche lundi au Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean-Jaurès 75019 – Paris. Tél : 01 40 03 72 23. Les 13 et 14 décembre à l’Espace des Arts – Châlon-sur-Saône. Le 28 janvier 2023 au Théâtre de Rungis.

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