
Isabelle, texte, musique et mise en scène Joachim Latarjet, collaboration artistique Yann Richard. Lumières Léandre Garcia Lamolla, son François Vatin, vidéo Julien Téphany,
costumes Nathalie Saulnier.
Isabelle, incarnée par Alexandra Fleischer est une jeune femme out of control, violente et désemparée, dépendante de ses parents mais revendiquant son autonomie. Isabelle a été frappée, encore enfant, par une affection virale qui l’a handicapée définitivement.
Le portrait d’Isabelle est aussi celui d’un noyau familial composé de ses parents, de son frère et de son épouse. Une famille qui vit le week-end, tous les cinq réunis et gérant tant bien que mal leurs relations tourmentées. C’est Paul, le frère qui introduit le récit, longue digression sur Saint Paul, la famille est catholique pratiquante, très bourgeoise et qui plus est lyonnaise.
Dans la semaine, Isabelle est prise en charge dans un établissement religieux où elle vit malgré tout, entretient une relation avec un autre résident, connaît sa douleur et celle des autres pensionnaires. Il n’est pas difficile d’imaginer que les sœurs ne sont pas les plus ouvertes à l’acceptation des désirs et des besoins des résidents, surtout Isabelle qui exprime crûment ses envies.
Le récit portrait mêle les temporalités, mais il montre à quel point les proches d’Isabelle n’ont pu l’accompagner, la comprendre tout en l’aimant. Les scènes sous tension où Isabelle s’empare d’une hache ou d’un couteau, se déchaine verbalement et physiquement ou bien commet des actes insensés comme des achats compulsifs, alternent avec les moments d’abattement.
Alexandra Fleischer est convaincante et les quatre autres comédiens sont aussi crédibles.
Paul – Emmanuel Matte – qui entretient également la distance de la narration est le grand frère aimé qui tente par la raison et avec ténacité de maintenir le noyau familial en état et de soutenir sa sœur. Ses efforts seront vains et son épouse finira par le quitter.
Elena – Eleni Apostoulopoulou – aura pourtant essayé et beaucoup donné, mais quittera Paul avec leur fils Alexandre, usée par l’hostilité de sa belle mère.
La mère – Françoise Gazio – n’acceptera vraiment jamais le handicap d’Isabelle et vivra dans un sentiment d’injustice. Même si vers la fin, elle semble se rapprocher de sa fille et remet en question son existence bourgeoise et ses préjugés. Ce n’est rien au côté du père, Christophe Paou, détestable au plus haut point dans sa suffisance de réussite bourgeoise et médicale qu’Isabelle est venue entacher.
Ils aiment leur fille mais leur condition les empêche d’accepter cet être si différent et clairement si revendicatif et totalement étranger au jeu des apparences auquel ils sont soumis.
Les scènes s’enchaînent et se répondent fiévreusement entre les cinq protagonistes.
Comme pour son précédent spectacle, Elle voulait mourir et aller à Paris sur sa mère que l’on retrouve dans le personnage d’Elena, Joachim Latarjet a puisé dans son univers familial la substance de son récit puisqu’Isabelle était sa tante.
Fidèle à une forme musicale qui irrigue en permanence le récit par des antiennes, des cantilènes qu’il joue à la guitare, au clavier ou au trombone, repris par des effets vocaux parfois choraux, ou secondé à la basse par Paul, Joachim Latarjet distille une ambiance étrange qui répond aux extravagances d’Isabelle.
La conjugaison de la musique et du texte a tout d’une alchimie suggestive. Isabelle se livre aussi dans des chansons qui revendiquent sa soif d’être elle-même et qui sont des moments de respiration bienvenus dans cet espace de tensions affectives et psychiques.
Isabelle est un beau moment de théâtre et de musique autant qu’un beau portrait, une ode à la différence pleine de vitalité et de tendresse qui emporte forcément le spectateur.
Louis Juzot
Du 11 au 19 novembre 2022 à 20h30, au Monfort Théâtre, 106 rue Brancion – 75015 Paris. Tél :01 56 08 33 88 lemonfort.fr