La terre entre les mondes, texte de Métie Navajo ( édit. Espace 34), mise en scène de Jean Boillot. Au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine, dans le cadre des rencontres Charles-Dullin et de Focus Mexique.

Crédit photo : Sylvain Martin.

La terre entre les mondes, texte de Métie Navajo ( édit. Espace 34), mise en scène de Jean Boillot. Au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine, dans le cadre des rencontres Charles-Dullin et de Focus Mexique (El Dia de Los muertos, La terre entre les mondes, Nocturne à voix haute, Son Rompe Pera) du 9 au 11 novembre 2022 au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean Vilar 94400 – Vitry-sur-Seine. Tél : 01 55 53 10 60 theatrejeanvilar.com 

Conseil dramaturgie David Duran Camacho, scénographie Laurence Villerot, création lumière Ivan Mathis, création costume Virginie Bréguer, création sonore Christophe Hauser. Avec Lya Bonilla, Sophia Fabian, Christine Muller, Giovanni Ortega, Cyrielle Rayet, Stéphanie Schwartzbrod.

La terre entre les mondes de Métie Navajo est ainsi décrite : il reste des régions tranquilles au Mexique, éloignées des Etats-Unis et proches de Dieu. Là, entre un village maya et les vastes plaines recouvertes de soja – les forêts disparues -, deux jeunes filles creusent la terre au pied d’un arbre pour y enterrer la grand-mère maya de l’une, déterrée du cimetière, selon sa propre volonté.

Cecilia, est Maya, et vit au village avec son père qui soliloque et appelle la pluie. Amalia, à peine plus jeune, appartient à une congrégation religieuse européenne travaillant la terre et vivant retranchée du monde. Elle n’est jamais allée au-delà des plantations, de l’océan.

Alentour, une soeur jalouse, une mère disparue, une grand-mère maya en « revenante ». Avec Cecilia et Amalia, deux univers se regardent, confrontés à l’intrusion du monde technologique.

Une pièce délicate et puissante sur la disparition des êtres, des cultures, de l’environnement naturel, sur le monde magique des croyances, sur la force vitale de la jeunesse qui s’attache à faire entendre les langues parlées et leur beauté, tels des liens vivants – des trésors inépuisables.

La terre entre les mondes, pour le metteur en scène rigoureux et exigeant Jean Boillot, ouvre à « des altérités fragiles : Cecilia et Amalia sont issues, la première d’une famille maya, la seconde d’un communauté mennonite, avec chacune leur histoire, leurs langues et leurs croyances. Un esprit d’enfance significatif du monde visible et invisible des Mayas, où les hommes – morts et vivants -, les animaux, les végétaux et les dieux co-existent au milieu de la Nature-mère. »

Leur existence, poursuit le concepteur, est menacée par le projet d’une ligne de train – rappel des effets violents de la mondialisation – féminicides, corruption, expropriations des indigènes de leurs terres ancestrales, – dernier épisode d’un combat pour la conquête de droits des indigènes, initié avec la décolonisation espagnole et la Révolution mexicaine -, déforestation et culture intensive, assèchement et épuisement des sols, exportations des récoltes, exactions des narco-trafiquants.

La scène théâtrale, qui tient à distance ces violences, est un refuge pour ces existences évanescentes. Un monde autre et au féminin advient, racontant le combat discret de femmes pour leur émancipation par la transmission féminine des savoirs. Abuela a appris à sa petite fille la langue et la culture maya. A son tour, Cecilia transmet son savoir scolaire et culturel à Amalia.

La pièce se termine par une utopie féministe, après qu’un ouragan, vengeant le meurtre d’Amalia, ait tout emporté. Un concert de langues mineures que la langue majeure – l’espagnol ici – voudrait vaincre. Les interprètes d’origine indienne sud-américaine pour la famille maya font entendre leur petite musique originelle chantante, parlant instinctivement le maya, l’espagnol et le français.

Quant aux femmes mennonites, leur accent relève du hollandais, du flamand, de l’allemand.

Scènes bibliques de la peinture médiévale, tableaux et portraits sur pied captés sur fond clair, la couleur des Mayas et des Mennonites différencie les deux mondes – voix, corps, langues.

En toile de fond sonore, les bruits des travaux agricoles de la Nature – forêt, champ, animaux, ouragan, puissance du chant des oiseaux et des singes. Vagues musicales électro-acoustiques.

Une scénographie épurée pour cette figuration de l’entre-monde, un espace uni et lumineux de boîte aux deux murs bancs, déposée sur le plateau, derrière laquelle apparaissent les racines et la souche d’un arbre tutélaire, symbole d’une Mère-nature bousculée, malmenée, dégradée, épuisée.

Les vivants et les morts s’y entrecroisent naturellement, sans surprise, et la représentation ouvre les pages d’un album illustré dont les scènes vives et colorées, détachées, à cour du côté de la grand-mère, du père et de la fille maya, et à jardin, du côté de la mère et des filles mennonites.

Au coeur d’une scénographie particulièrement soignée, entre ombres et lumières, ce sont des miniatures vivantes, colorées et éloquentes qui s’animent et s’exaspèrent: du côté de la communauté religieuse, la mère gronde ses filles et celles-ci se disputent entre elles, se donnent des coups, à la manière ludique et joueuse enfantine, tandis que Cecilia, la jeune Maya parlant sa langue et qui, scolarisée, a acquis l’espagnol, travaille dur comme domestique chez les fillettes.

Celle-ci, moteur du mouvement et de la tension poétique, anticipant sourdement le drame qui se prépare, échange dans le dialogue avec le père qui veut la protéger de sa volonté d’émancipation, tout en la comprenant et accordant toute sa confiance à ce raisonnement de jeune fille mature.

Entre les scènes de discours paternel ou de confrontation sororale avec les Mennonites, Cecilia s’allonge sur la scène – station de sommeil et de veille où la grand-mère revenante la sollicite.

Puis elle se lève, face public, et commente la situation, s’explique et argumente, selon la raison, entre respect des anciens et de leur histoire, et l’élan tonique vers un monde profus à découvrir.

Chansons, sonorités traditionnelles et contemporaines, accents divers, un univers cosmopolite et vif s’impose, attentif aux problèmes économiques et sociaux, ethniques et environnementaux. 

A la façon d’un conte acidulé d’enfance à destination de tous, un spectacle qu’on aimerait voir se répéter sur les scènes, prônant l’éveil des consciences existentielles et leur désir d’élucidation.

Véronique Hotte

Focus Mexique (El Dia de Los muertos, La terre entre les mondes, Nocturne à voix haute, Son Rompe Pera) du 9 au 11 novembre 2022 au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean Vilar 94400 – Vitry-sur-Seine. Tél : 01 55 53 10 60 theatrejeanvilar.com Les 8 et 9 novembre 2022, dans le cadre des Rencontres Charles-Dullin, le 9 novembre 20h, le 10 novembre 14h30, le 11 novembre 15h. Les 16, 17 et 18 novembre au NEST-CDN Thionville (Moselle). Le 1er décembre au Bords 2 Scènes Vitry-le-François (Marne). Le 8 décembre EMC Saint-Michel-sur-Orge (Essonne).

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