
Je passe (1 à 4 ), conception de Judith Depaule (Mabel Octobre) aux Métallos.
Avec Zélie Gillet, Ana Maria, Morgane Peters ou Marie Levy, Clémentine Vignais, Nathan Roumenov, Pablo Jupin, Nicolas Gachet.
Avoir encore le droit de vivre en France est possible pour tous ceux qui ont connu les centres de rétention, la privation de la liberté, la séparation des siens, les coups, la faim, les retours au pays d’origine, les abus des passeurs, les bateaux qui chavirent : quitter des terres de guerre et de peur.
Entrer dans l’intimité du récit d’artistes en exil qui font entendre leur périple après avoir tout laissé derrière eux : des comédiens leur prêtent leur voix et dans cette transmission se dessine un lien.
Ils et elles sont artistes, ont fui la guerre et l’oppression et ont rejoint la France dans l’espoir de commencer une nouvelle vie. Leur récit est transmis à un comédien ou une comédienne qui parle face à un petit groupe de public, comme on confie une histoire intime à une oreille amie.
L’une, peintre, vient d’Iran et n’a pu revenir dans son pays avec son mari sculpteur, poursuivi par la censure islamique pour avoir sculpté ensemble mollah et femme nue. Ayant exposé dans un pays d’Europe du Nord, l’artiste n’a pu désormais vivre en paix ; l’épouse, exilée aussi en France, continue à peindre pour la liberté féminine, brossant des paysages aux femmes dénudées.
Le spectateur découvre certaines de ses oeuvres sur la tablette exposée du comédien-narrateur.
Un autre vient du Congo Kinshasa, engagé politiquement contre les abus de pouvoir, il est arrêté, interné dans un camp avec des centaines d’autres prisonniers, s’en réchappe, rejoint la France. Un autre encore vient de Guinée-Conakry qui connaît les mêmes violences et mêmes cruautés haineuses. Tous sont plus ou moins trahis dans leur quête, quand un passeur dérobe leurs papiers, les laissant seuls à l’aéroport de Roissy-en-France, et tous, à terme, sont plus ou moins « aidés » et « accompagnés » dans leur désir existentiel de sauvegarde et de dignité respectée.
Judith Depaule, activiste et metteuse en scène sans frontières, prend en charge l’atelier des artistes en exil à la Maison des Métallos. Comédienne, traductrice du russe, la conceptrice est à la tête de la Compagnie Mabel Octobre depuis vingt ans. Elle y crée ses propres textes entre documentaire, théâtre et pratique. En 2017, elle fonde avec Ariel Cypel, l’atelier des artistes en exil, lieu unique en Europe qui accompagne professionnellement et administrativement quelques 200 artistes réfugiés venus du monde entier, après avoir fui la guerre ou les déterminismes.
Cet espace est conçu pour leur permettre de transformer l’arrachement en renaissance.
Ils et elles viennent d’Afghanistan, d’Iran, de Syrie, du Vénézuela, d’Afrique : artistes émergents ou confirmés, ils composent, chantent ou dansent. Leurs récits sont nourris d’expérience – un tissu serré d’épreuves vécues -, et le fait qu’un public les écoute – nous et vous – change toutes les représentations aléatoires et fantasmées pour mieux tisser ensemble une mémoire commune.
Le comédien tient une tablette avec le portrait de l’artiste dont il est la voix. Le portrait s’anime pour mettre en partage une autre manière de se raconter à travers son art. Chaque Je passe convoque des récits d’exilés différents. Et le récit se termine par la contemplation de l’art de ces jeunes gens.
Dans la proximité d’un petit groupe confidentiel, le spectateur les voit conter, chanter, peindre, jouer d’un instrument – raconter au-delà de l’enfer leur passion d’être et de s’accomplir malgré tout.
Un geste scénique d’envergure – engagement et lucidité – qui rapproche les interprètes de ces récits « lointains » à notre présence immédiate, ici et maintenant, dans une actualité chronique de dérèglements divers – sanitaires, climatiques, économiques et politiques -, que la guerre odieuse en Ukraine ne fait qu’exacerber en rendant plus aiguë encore la situation d’exilé et de réfugié.
Véronique Hotte
Du 3 au 20 mars 19h, le vendredi 20h, dimanche 16h, La Maison des Métallos – établissement culturel de la ville de Paris, 94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 – Paris. Tél :01 47 00 25 20.