Wunderkind de Simon Diard, éditions Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines-, collection Tapuscrit (148, 2021).
Simon Diard est né à Rennes en 1982. La Fusillade sur une plage d’Allemagne a été créée à Théâtre Ouvert par Mar Lainé en coproduction avec le Théâtre National de Strasbourg en 2018.
Paranoid Paul (You Stupid Little Dreamer) est créée au printemps 2022 par Luc Cerutti, avec le chanteur Mathieu Lescop aux Plateaux Sauvages à Paris dans le XX è arrondissement.
Wunderkind est sa troisième pièce publiée en tapuscrit. L’auteur a présenté en 2020 deux performances à partir de Wunderkind,dans le cadre de sa Résidence d’écrivains en île-de-France, à la Bibliothèque Oscar Wilde et en a dirigé une première lecture, à Théâtre Ouvert, le 6 juin 2021.
Au pied d’une falaise du sud de l’Angleterre, au milieu du jour, un petit groupe d’adolescents évoque Noah, mort dans des circonstances tragiques, sans doute ici même, dans un passé récent. L’un après l’autre s’engage dans un dialogue gauchi, à sens unique, puisque le disparu ne peut plus répondre. Le rituel cathartique consiste à parler de celui qui n’est plus là, pour que le monde entende et lui-même qui s’exprime, ce qui reste sur le coeur de celui qui lui survit.
« Il paraît que toute chose tire sa vie d’une autre. »
La distribution concerne filles et garçons entre 16 et 19 ans : Daniel, Yasuko, Pearl, Dennis, Adam, Sofia, Sam. Une même personne joue Daniel et Dennis, Pearl et Sofia, Adam et Sam.
Les didascalies sont précises et indiquent :
Au pied d’une falaise, au milieu du jour.
Au sol, un sac de sports.
Peut-être, en plus de Daniel, Yasuko, Pearl et Adam : d’autres adolescents plongés dans leurs pensées.
Pearl porte un T-shirt rose pâle où il est écrit avec des clous argentés : PEARL.
Pour devenir Dennis, Sofia et Sam, les interprètes de Daniel, Pearl et Adam changent d’apparence rapidement ( en laissant tomber leur blouson à leurs pieds, en ouvrant la fermeture de. leur sweet, en enlevant un bonnet…). C’est comme s’ils se glissaient dans un second corps, dérivé du premier.
Pendant le monologue d’Adam, l’interprète de Daniel et Dennis se déshabille entièrement, de façon à être nu un peu avant la fin du texte. Après un moment il se dirige vers le sac de sport et l’ouvre. Il en sort un boxer qu’il enfile rapidement. Même chose avec une paire de chaussettes. Il reste un instant comme ça, en boxer et chaussettes. Puis il tire du sac un jean déchiré couvert de grandes plaques de sang séché, qu’il regarde d’un air songeur et enfile, un T-shirt où il est écrit WUNDERKIND, lui aussi sale et lacéré, qu’il évite de considérer et dans lequel il se glisse, et pour finir, une paire de tennis à scratchs terreuses qu’il chausse en posant un genou au sol.
L’interprète de Daniel et Dans reste un instant comme ça, rhabillé en Noah. Il ne sait pas où se mettre, passe une main dans ses cheveux, regarde les autres. Pour finir il met les mains dans les poches de son jean.
C’est peut-être le moment de faire entendre Videotape (Radiohead, In Rainbows ) que Yasuko cite à la fin de la pièce. Ou Long Gone de Syd Barrett (The Madcap Laughs). Quoi qu’il en soit, au début du monologue de Sofia – jusqu’à « C’est le milieu du jour » – ce Noah scéniquement ressuscité semble capter la parole, comme par résonance, du fait de sa présence dans le champ visuel, et se confondre pour un temps avec son véritable destinataire. Jusqu’à ce que le lien se défasse, quand l’interprète de Daniel et Dennis s’assoit par terre pour se déshabiller tranquillement, en commençant par les chaussures et en terminant par le T-shirt, et se rhabiller comme précédemment.
Tous les adolescents sont sur scène en permanence.
Les interprètes ont conscience de tout, mais les personnages s’en tiennent à leur point de vue isolé.
Daniel : Noah, qu’est-ce qui t’a pris ? Tu t’es éloigné sur un coup de tête, sans qu’aucun de nous s’den rende compte, pourquoi t’as fait ça ? Tu ne t’es pas dit que c’était une des pires idées de ta vie ? Une des pires choses à faire dans l’état – assez exalté – où tu étais ? Disparaître comme ça, sans prévenir personne, sans même le dire à Amy… (p.9)
Dennis : Qu’est-ce que tu as cherché à te prouver, Noah ? Tu t’es obstiné à poursuivre un but incertain qui devait t’échapper sans cesse comme l’horizon recule, et que tu n’as jamais atteint.
Le ciel était plus bleu que jamais, psychédélique.
La journée s’étirait longue à n’en plus finir. Tu n’étais pas le seul à perdre la notion du temps et de l’espace. (Pause ) Tout ça, tu l’as vécu dans une conscience seconde, je suppose. J’espère, j’espère pour toi. Il y a de grandes chances pour que tu sois mort sur le coup et que tu n’aies rien senti à cause de ce que t’avais pris. C’est ce que chacun de nous espère pour toi. (Pause) Il paraît que tu passes dans l’autre monde avant de toucher le sol. Le cerveau s’arrête, ou le coeur lâche de lui-même, en pleine chute. C’est comme un petit mécanisme de défense caché en soi pour s’éviter d’atroces souffrances. J’espère que ça existe, j’espère pour toi que ça existe. (p.22)
Adam : Espèce de sadique, tu ne peux pas savoir à quel point j’aimerais te tirer une balle. Je le ferais, si je le pouvais. Je te jure que je le ferais sans ciller, sans rien ressentir. Si je t’en tirais une, si je te tirais une balle, tu retournerais d’où tu viens et tout rentrerait dans l’ordre. Je pourrais regarder à nouveau mes parents en face, mes amis dans les yeux, comme avant …Regarde ce que t’as fait de moi. Je ne sais plus qui je suis. Je ne me reconnais plus. Je me souviens de ma vie d’avant comme d’une vie lointaine, antérieure. Je ne peux pas y repenser sans que mon coeur se serre. Noah, qu’est-ce que tu m’as fait ? Qu’est-ce que t’as fait de moi ? J’ai des idées sombres, d’étranges pensées qui ne sont pas les miennes, qui ne me ressemblent pas. (p.28)
Sofia : Tu voyais du sang partout.Tu ne pensais plus qu’à une chose : échapper à tout ça, te sauver d’ici. Une lumière surnaturelle éclairait le sentier côtier où tu t’étais jeté sans en être conscient… Toute la réalité s’est accélérée comme lors d’une chute. Le ciel se rapprochait de plus en plus vite. Une chute sans fin au fond de toi. (p.44)
Yasuko : Il ne faut pas que je perde de temps. Je sens qu’il faut que je me dépêche. Le sentier côtier est complètement désert lui aussi. Le temps s’est arrêté, le temps ne s’écoule plus, mais j’avance. J’ai perdu toute sensation de mon corps. Un grondement étouffé arrive jusqu’à moi, c’est le bruit des vagues qui se brisent sur les falaises. Je sens mon coeur ralentir presque jusqu’à ne plus battre, jusqu’à s’arrêter presque. Peu importe ce qui va arriver….
Je sais que ce qui se déroule sous mes yeux n’existe pas. Je sais que ce film n’a pas existé. Je quitte le sentier. Je m’avance comme dans un rêve jusqu’à Went Hill, baigné de lumière. Il y a quelqu’un à la pointe du promontoire. Quelqu’un de seul qui ne fait rien, qui ne bouge pas. C’est toi. Je le sais, au plus profond de moi, je le sens. C’est comme une prémonition sombre, une sensation qui s’impose à moi comme une évidence. (p.52)
Une pièce douce-amère sur les dérives existentielles de jeunes gens pour lesquels les promesses de l’avenir ne signifient plus rien avant même d’advenir, allant jusqu’à arrêter net d’un coup fatal leur destin de petits génies Wunderkind en puissance – lot qui revient à tout être à l’orée de sa vie.
Véronique Hotte
Wunderkind de Simon Diard, éditions Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines-, collection Tapuscrit (148).