400 ans de la naissance de La Fontaine (8 juillet 1621) – Les Amours de Psyché et de Cupidon, précédé d’Adonis et du Songe de Vaux, Gallimard, Folio Classique n°6947.

400 ans de la naissance de La Fontaine (8 juillet 1621)

Jean de La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon précédé d’Adonis et du Songe de Vaux, édition de Céline Bohnert, Patrick Dandrey et Boris Donné, Gallimard, Folio Classique n°6947, 464p / 9,70€.

Ces trois textes rares du début de la carrière littéraire de La Fontaine, d’inspiration mythologique, sont la parfaite synthèse entre l’ironie des Fables et l’audace libertine des Contes. C’est en quelque sorte La Fontaine avant qu’il ne devienne le fabuliste célèbre.

La Fontaine rédige le long poème en vers Adonis en 1658, et l’offre à son protecteur, le surintendant des Finances, Fouquet. En s’inspirant des Métamorphoses d’Ovide et d’Apulée, il fait le récit des amours du beau chasseur avec Vénus. Avec virtuosité et délicatesse, il associe les registres lyriques, épiques et élégiaques. Cet exercice virtuose le conduira, dix ans plus tard, à parachever la réussite absolue des six premiers livres de Fables choisies mises en vers.

Vénus, amante comblée puis endeuillée dans Adonis, reparaît dans Les Amours de Psyché et de Cupidon, rédigé en 1669, mais sous un jour bien moins avenant: celui d’une mère jalouse de sa bru, la jeune Psyché, condamnée à divers travaux forcés sous sa surveillance implacable.

Le songe de Vaux (1659-1661) est une rêverie poétique et philosophique, en prose, à la gloire du vaste domaine de Fouquet aménagé par Le Nôtre.

Derrière le fabuliste se cache un autre La Fontaine : celui qui commença sa carrière littéraire sous le protection de Fouquet. Fruits de l’inspiration raffinée, badine et sensuelle qui régnait à sa cour, les trois textes ici réunis associent les légendes de la mythologie et l’esprit aigu du classicisme naissant, dans une quête de la beauté et de la sensualité, une conciliation du sérieux et du léger, entre le rêveur qui s’égare et l’oeil qui observe. La Fontaine y conte en vers et en prose, sur le mode de l’élégie, du lyrisme, du songe ou de la promenade, l’amour de Vénus pour Adonis, les aventures de Psyché aimée de Cupidon et les rêveries poétiques et philosophiques que lui inspirent les jardins de Vaux et ceux de Versailles qu’inventait alors Le Nôtre.

A mi-chemin entre la hardiesse rieuse des Contes et la gaieté enchanteresse des Fables, ce La Fontaine est méconnu, délicat et insolite qui, ici aussi, amuse, charme et envoûte.

Patrick Dandrey dans sa Préface écrit : « C’est ainsi que ces trois textes de La Fontaine, voisins, cousins mêmes, mais déclinés sur une décennie qui voit sensiblement évoluer sa manière, font le relais entre les deux moments de l’histoire du goût : d’un côté, l’esthétique « galante », libre et mêlée, volontiers artificielle et de tour mondain, tournée en priorité vers les thèmes amoureux, recherchant l’effet tout en jouant sur la distance prise avec lui; et de l’autre, l’esthétique plus exigeante, plus concertée, plus profonde de ce qu’on a appelé depuis et pour cette raison le classicisme français, qui tend à la fois vers plus de naturel et plus de régularité. »

On peut qualifier Voiture de galant, on ne peut y réduire Boileau : La Fontaine tient le milieu entre ces deux pôles, ou plutôt il trace sa courbe entre l’un et l’autre. Les rochers attendris par la plainte de Vénus « quittant leur dureté » pour « répandre des larmes (celles des sources qui en jaillissent), c’est encore dans Adonis l’artifice précieux hérité par lui de ses modèles du premier XVII è siècle, Marino ou Tristan L’Hermite. Il en restera même quelque chose dans certains vers des Amours de Psyché et de Cupidon :

« C’est ainsi qu’en un bois Psyché contait aux arbres / Sa douleur dont l’excès faisait fendre les marbres / Habitants de ces lieux. »

Car ce conte en prose est truffé de passages en vers, qui conspirent aussi à cet effet de variété où se retrouve le goût de la génération « galante » pour la diversité et les effets contrastés, voire pour ces jeux de mots recherchés (une douleur à « fendre les marbres ») qu’on nommait concetti – en français, on dira « pointes ». (p.24)

En revanche, l’évocation délicate des amours d’Adonis et Vénus inspirait déjà au poète, dès la fin des années 1650, des vers où le naturel chassé revient au galop, comme ce cri de la déesse, mater dolorosa pressant le cadavre d’Adonis et suppliant l’enfer de lui accorder ne fût-ce qu’un instant de vie encore pour son bien-aimé déjà mort : « Je demande un moment, et ne puis l’obtenir. » Cette vérité du coeur, si  simplement exprimée, sera teintée dans Les Amours de Psyché et de Cupidon d’une plus suave et délicate nuance de naïveté, qui imprime le naturel et la sensualité sans fard de l’adolescence à une peinture de l’amour que pour sa part Acante, le songeur de Vaux, colore d’une galanterie voluptueuse sinon lascive pour évoquer les charmes d’Aminte, sa belle endormie. »

Il est significatif que le sommeil, propice aux enchantements du rêve, tisse d’un même fil les trois ouvrages. Il fait même coup double dans Adonis : sommeil d’après l’amour, sommeil d’après la mort, il métamorphose l’idylle en élégie. Une même estompe vient d’ailleurs y voiler de nostalgie le relâche de la sensualité succédant aux bouffées d’effervescence érotique et la résignation du deuil succédant aux bouffées du désespoir pathétique.

Raffinement de préciosité, la belle endormie du Songe de Vaux est aperçue par le songeur au cours de son rêve, qui éveille la belle du sien : ces replis narratifs drapent le sommeil d’Aminte dans des volutes qui pourraient sembler un peu sophistiquées, n’était que l’élan amoureux suscité par l’image de son sein découvert « qu’une respiration douce contraignait parfois de s’enfler» imprime à l’artifice un naturel qui donne corps et vie à l’image. » (p.25)

Un enchantement qui métamorphose une image sculpturale ou picturale en beauté vivante et aimable, et annonce dans Les Amours de Psyché et de Cupidon, la métamorphose non moins enchantée d’un monstre supposé en dieu Amour, par le même truchement d’une vision d’art, d’une description qui semble plus d’un marbre ou d’une toile que d’un corps vivant pris par le sommeil.

« Comme s’il fallait traiter la nature par l’art et l’artifice pour lui restituer son naturel, pour la rendre naturelle. Il n’est pas fortuit, en ce sens, que divers jardins offrent leur asile privilégié à cette alchimie : les jardins de Vaux, ceux du palais que Cupidon a créées pour Psyché, et deux encore de Versailles encadrant la déambulation des quatre amis venus y entendre la lecture du manuscrit des Amours de Psyché et de Cupidon par l’un d’eux, nommé Poliphile… » (pp.26/27)

Un hommage rendu à la poésie, une participation voluptueuse à la réalité par le détour de la fiction fabuleuse dont le songe propose une équivalence éloquente : puissance de la sensation, intimité de sa manifestation, profondeur de ses suggestions, sagesse de l’enchantement et leçon morale et immoraliste sur l’usage des plaisirs, sur l’usage du monde comme source profuse de délectation jusqu’au sombre plaisir des coeurs mélancoliques. (pp.32/33) 

Véronique Hotte

400 ans de la naissance de La Fontaine (8 juillet 1621)

Jean de La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon précédé d’Adonis et du Songe de Vaux, édition de Céline Bohnert, Patrick Dandrey et Boris Donné, Gallimard, Folio Classique n°6947, 464p / 9,70€.

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