Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage
Hamlet à l’impératif de Olivier Py, éditions Actes Sud-Papiers, collection Le Temps du théâtre.
«Qui est là ? » Dès sa première réplique, Hamlet interpelle le public et l’emporte dans une histoire où le devoir croise la conscience de soi avec le célèbre «To be or not to be». En compagnie d’amateurs, d’élèves de l’École régionale d’acteurs de Cannes-Marseille et de comédiens professionnels, Olivier Py investit le jardin de la bibliothèque Ceccano pour questionner le théâtre grâce au plus connu des drames shakespeariens. Avec une traduction inédite et un texte original, il nous convie à penser le to act. Jouer ? Agir ? À raison de dix épisodes prenant appui tout à tour sur une scène clef, une tirade ou un personnage, et de cinq représentations de Hamlet, le feuilleton fait résonner, dans le mitan de chaque journée festivalière, une question centrale: « Que peut le théâtre ? » Alors oui, spectateurs comme comédiens, êtes-vous là ?
Mon neuvième est un crâne, un crâne de bouffon exhumé, et qui médite sur la caducité. Cet accessoire indispensable de tout Hamlet mérite à lui seul son chapitre. Mais quel est l’eschatologie de Shakespeare ? Sa pensée de la mort est-elle stoïcienne ? Sceptique ? Lucrécienne ?
La création de Hamlet à l’impératif a eu lieu avec bonheur au Festival d’Avignon 2021, dans la mise en scène de l’auteur, homme de théâtre qui laisse bientôt officiellement sa place à la direction du Festival d’Avignon à Tiago Rodrigues, sous forme d’épisodes, du 6 au 23 juillet, à 12h, dans le jardin Ceccano. Avec vivacité, humour et espièglerie, selon l’esthétique enthousiaste d’Olivier Py
Etrangement, écrit Olivier Py, Hamlet s’est rappelé à lui par la voix de détenus de la prison du Pontet à Avignon avec qui il travaille depuis 2015. Hamlet les intéressait : il a traduit et adapté pour eux ce texte qui a eu le miraculeux destin de les faire jouer hors les murs. « Nous avons libéré Hamlet et Hamlet nous a libérés. » Et le créateur a abordé l’oeuvre avec une candeur retrouvée.
Ecrivain, metteur en scène et comédien, Olivier Py monte ses propres textes depuis 1988 avec sa compagnie, l’Inconvénient des Boutures. En 1995, il crée l’événement au Festival d’Avignon avec La Servante, cycle de pièces d’une durée de vingt-quatre heures.
Directeur du CDN d’Orléans-Loiret- Centre de 1998 à 2007, il a aussi mis en scène de nombreuses pièces ainsi que des opéras partout dans le monde. Il a été directeur du Théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe de 2007 à 2012 et a dirigé le Festival d’Avignon de 2013 à 2021.
Dans ce texte inclassable, à mi-chemin entre l’essai et la pièce de théâtre, Olivier Py questionne Hamlet et son apport à la pensée occidentale du XX è siècle. Il lui octroie une forme vivante, celle du dialogue socratique, en associant ses réflexions à celles des personnages de la pièce et à celles de Freud, Derrida, Wittgenstein, Heidegger, Lacan et tant d’autres.
L’auteur y aborde entre autres la question de la traduction, de la modernité, du langage, de la mort, du théâtre et de l’Histoire. En toute impunité, il fait du personnage d’Hamlet notre contemporain et le dépositaire de toutes les interrogations éthiques.
Dans cette exégèse de la pièce la plus connue du répertoire mondial, la tentative encyclopédique de déplier toutes les thématiques philosophiques n’en reste pas moins une aventure ludique. Hamlet demeure à la fois une énigme et un accélérateur de particules existentielles.
« HAMLET : Permettez-moi d’essayer encore quelques traductions de « To be, or not to be », on n’en fait pas si facilement le tour.
Descartes : je pense donc je suis.
Rimbaud : je est un autre.
Pascal : je te parie qu’on se reverra.
Parménide : tout est dans tout et vice-versa.
Platon : la vérité est ailleurs.
Freud : le moi, le je ou le ça, tout est énigme.
Wittgenstein : taisez-vous.
Lacan : je dis toujours la vérité.
Wittgenstein, dix ans plus tard : faites-moi signe si vous voulez qu’on se revoie.
Lacan, un peu plus tard : je suis le discours de l’autre.
Heidegger : il est bon de dire qu’il y a de l’être.
Iago : je suis celui qui n’est pas.
Gloria Gaynor : I Am What I Am;
Heidegger, dix ans plus tard : j’attends.
Macbeth : ce qui est n’est pas et ce qui n’est pas est ce qui est. » (extrait, p.46)
Dans son Avant-Propos, Olivier Py raconte que les épisodes de sa pièce égrainent une charade :
« Cela ressemble à une charade, dont mon tout serait Hamlet ; Hamlet à travers la pensée occidentale. L’architecture de ce livre tient à une idée simple. Hamlet est une pièce non pas sur la vengeance mais sur l’éthique. Un devoir moral, une injonction catégorique qui ne laisse pas en paix le prince du Danemark. Il est hanté par l’idée qu’il doit agir. La puissance poétique de l’oeuvre tient au fait que face à cette injonction, irréfutable, il reste immobile, paralysé, effaré. C’est cet impératif qui à la fois donne un sens à sa vie et lui ôte tout son sens. Shakespeare a fait là un cadeau à l’humanité. Il lui rappelle que nous devons « changer notre vie », « agir selon des lois universelles », répondre à la parole intérieure, et il compare cette injonction au devoir de venger un père assassiné. Mais Shakespeare, avant d’être un génie, est un homme, et son héros, qui lui ressemble et nous ressemble, ne peut accomplir le geste éthique qui donnerait sens à son existence et rejointerait le monde désarticulé par le mal radical…
Par Hamlet, Shakespeare a mis l’homme devant sa difficile liberté, et il nous montre que cette difficulté est plus sublime qu’un océan en furie ou qu’un volcan en feu. »
Hamlet de Shakespeare, une oeuvre inépuisable, dont le théâtre d’Olivier Py a su saisir l’esprit.
Véronique Hotte
Hamlet à l’impératif de Olivier Py, éditions Actes Sud-Papiers, collection Le Temps du théâtre.