Festival d’Avignon – Bouger les lignes, Histoires de cartes, texte et dramaturgie de Nicolas Doutey, mise en peinture de Paul Cox, mise en scène de Bérangère Vantusso, avec les interprètes de la Compagnie L’Oiseau-Mouche.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

Festival d’Avignon – Bouger les lignes, Histoires de cartes, texte et dramaturgie de Nicolas Doutey, mise en peinture de Paul Cox, mise en scène de Bérangère Vantusso, avec les interprètes de la Compagnie L’Oiseau-Mouche, Mathieu Breuvart, Caroline Leman, Florian Spiry, Nicolas Van Brabandt.

« je me rappelle les cartes de la Terre sainte. En couleur. Très jolies. La mer morte était bleu pâle. J’avais soif rien qu’en la regardant. » ( En attendant Godot de Samuel Beckett).

Le spectacle traverse l’histoire des cartes, des tablettes d’argile mésopotamiennes à Google Maps en passant par la première carte de France. Une tentative d’aiguiser un regard critique sur la fonction des cartes, leur fabrication, leurs usages divers : militaires, commerciaux, politiques, touristiques et tout ce qui l’accompagne : science, frontières, conquête, territoire, migrations.

La part belle est faite aux cartes imaginaires, à l’exploration, à la verticalité du monde, à faire bouger les lignes. Et ouvrir en grand des espaces pour errer, rêver et se perdre.

Bouger les lignes convainc pleinement le public d’emblée, tant la question de vivre ici ou là est à la fois quotidienne et au goût du jour : être ou ne pas être… là. Le spectacle entraîne quatre guides qui entraînent grands et petits dans l’exploration de ces itinéraires géostratégiques ou poétiques. 

Des tables sumériennes au cartes interactives, de la carte de Cassini à celle des vents, les discoureurs pédagogiques déchiffrent les légendes, changent d’échelle, en utilisent une, lèvent les bras en l’air, s’accroupissent au sol et multiplient les perspectives, s’interrogeant sans cesse.

Le spectacle de la metteuse en scène Bérangère Vantusso dont le texte est écrit par Nicolas Doutey dans la mise en images – cartes, plans, voilures, peintures – de Paul Cox et dans la scénographie de Cerise Guyon, est un moment de fraîcheur théâtrale et de réelle inventivité.

Est-ce dû à ces cartes de nos enfances scolaires de l’Ecole publique où les salles des écoles primaires étaient toutes illustrées de cartes géographiques de la France et de l’Europe ? Un point, une direction, des terres et des mers, des zones dites naturelles, rurales ou urbaines – un jeu enfantin et un jeu d’adultes qui explore sans fin l’espace qui nous est consenti – cadeau du ciel.

Un point dans un cercle : « vous êtes ici », nous dit le Google Maps de notre téléphone cellulaire. Ici, ou peut-être là : tout dépend de là où nous sommes, tout est relatif. Une ligne tracée au sol délimite des espaces aux frontières instables, des territoires à arpenter ou à conquérir.

Objet de pouvoir et de contrôle, représentation d’un réel ou reflet d’un imaginaire, la carte – IGN ou pas – s’utilise pour s’orienter, commercer, faire la guerre ou encore s’échapper.

Les spectateurs, quant à eux,  s’échappent à loisir, dirigés et pris en main par les quatre interprètes de la Compagnie L’Oiseau-Mouche de Roubaix. Vêtus comme d’anciens agents de la SNCF – costumes de Sara Bartesaghi Gallo –  , ils ré-enchantent la vie pour qu’on la perçoive mieux. Aller faire les courses dans une petite bourgade, se faire expliquer plus ou moins bien le chemin par un autochtone qui connaît les environs : le résultat est approximatif ou aléatoire.

Mieux valent les cartes que l’on a achetées justement chez un épicier où l’on est allé acheter des biscuits. Taches de vert pour les forêts et de bleu pour les lacs, pointillés en rouge pour délimiter les espaces, la quête des lieux se transforme en un jeu aux quatre coins, une promenade ludique.

Légèreté aérienne en même temps que rigueur géographique, les cartes deviennent des accessoires-personnages de théâtre que l’on accroche, comme à l’école, tendues et sereines.

Une installation à claies et renversée contient des objets de bois – pancartes, veaux, vaches, cochons, arbres … qui délimitent encore la zone rurale plutôt agréable dont on parle. La même installation peut se mouvoir encore, grâce à un système de poulies, et se renverser spectaculairement, sans qu’elle ne perde le moindre équilibre. la Terre ne tourne-t-elle pas autour du Soleil comme nous, sans que nous n’éprouvions l’impression étrange d’avoir la tête en bas ?

Il existe évidemment des cartes politiques, des cartes militaires pour des usages plus ou moins avouables – agressions et bombardements de certains territoires par les plus forts sur les plus faibles- et il existe des cartes du ciel, des vents et de l’inscription des étoiles dans le firmament. 

Irait-on jusqu’à voir des soucoupes volantes ou des météorites ? Le rêve accède à l’onirisme et à tous ses territoires poétiques mais aussi à la quasi-réalité, la fascination débridée de « monter » jusque dans l’espace, telle Caroline vêtue d’un combinaison flamboyante et dorée de cosmonaute.

Les interprètes de la Compagnie L’Oiseau-Mouche, Mathieu Breuvart, Caroline Leman, Florian Spiry, Nicolas Van Brabandt, se montrent pleins de talent et d’envie de jouer à la fois entre eux et avec le public des spectateurs.

L’aventure ludique et facétieuse s’amuse d’une contemporanéité politique exacte, un engagement citoyen qui tend à privilégier la belle capacité d’écoute, d’échange et d’attention des personnes entre elles – aptitude si précieuse à saisir et à prendre conscience de notre « être-là » dans le monde, ici et maintenant et toujours, qu’insuffle l’art coloré et pétillant de Bérangère Vantusso.

Véronique Hotte

Les 6, 7, 8 et 9 juillet à 11h et à 15h, à la Chapelle des Pénitents blancs à Avignon.

Les 18 et 19 septembre 2021 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes (Charleville-Mézières). Tournée 2021-2022, en région et à Paris, du 5 octobre 2021 au 14 mai 2022.