Le Drageoir aux épices suivi de Croquis parisiens de Joris-Karl Huysmans, édition de Jean-Pierre Bertrand, Poésie/Gallimard, 288 p., 9,30 €.
Huysmans est un romancier et nouvelliste majeur, serviteur aussi de la longue tradition du poème en prose qui l’a fait entrer en littérature, ainsi Le Drageoir aux épices (1874) et Croquis parisiens (1880).
Suivant la ligne esthétique d’Aloysius Bertrand, d’Arthur Rimbaud et surtout des Petits Poèmes en prose (Le Spleen de Paris) de Charles Baudelaire, ces deux recueils de Huysmans sont pour la première fois réunis en une édition courante.
Selon l’éditeur Jean-Pierre Bertrand, le poème en prose est doté d’une étrange autonomie qui autorise la fragmentation sans dénaturer le sens. Baudelaire évoquerait même « le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ».
Issu de l’essor du journal, le poème en prose reste l’emblème de la modernité littéraire.
Les écrivains les plus « disruptifs » avec l’institution littéraire – Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé – ont pris plaisir à l’explorer, attirés par sa visée émancipatrice – absence de règles, cassure des codes en vigueur, dos tourné à l’histoire.
Privilégier la description de la vie moderne urbaine – cartographie de la cité moderne et sous-bassement d’un imaginaire de la cruauté, de la violence physique et mentale. Soit, d’une certaine manière, la traduction d’un affranchissement antinaturaliste du roman, les thèmes choisis s’étendant de la grande ville jusqu’au grand large, jusqu’ à la nature.
Pour Des Esseintes, l’esthète et le protagoniste du roman A rebours (1884) de Huysmans, le poème en prose est le comble du roman, « l’huile essentielle de l’art » :
« (…) ce n’est évidemment pas par hasard que Des Esseintes place sur sa cheminée le poème en prose de Baudelaire « Anywhere out of the world ».
Ce qui relie les deux recueils de poèmes en prose – Le Drageoir aux épices et Croquis parisiens – est une commune posture énonciative baudelairienne, – un regard scrupuleux qui n’épargne aucun détail de ce qu’observe un flâneur et promeneur. Même si observer et peindre est le mot d’ordre du naturalisme, Huysmans ne l’assujettit pas dans ses poèmes en prose à une nécessité narrative ou documentaire, selon le projet de Zola.
« La couleur doit se suffire à elle-même », écrit Jean-Pierre Bertrand. Et les deux recueils sont marqués d’une griffe qui impose la singularité d’un écrivain-poète en devenir.
Un regard désenchanté sur la nature, la société, la femme, l’artiste, la sentimentalité romantique, une vision sensible du monde – odorat, vue et toucher -, entre la grimace, les ombres tragiques et les connotations ironiques.
Sont saisies sur le vif des scènes de rue, de music-hall ou de brasseries, mêlant les portraits populaires et les demi-mondaines sensuelles.
Le plaisir d’une écriture alerte, colorée, charnelle, suggestive et efficace.
Véronique Hotte
Le Drageoir aux épices suivi de Croquis parisiens de Joris-Karl Huysmans, édition de Jean-Pierre Bertrand, Poésie/Gallimard, 288 p., 9,30 €. L’exposition « Huysmans critique d’art. De Degas à Grunewald », Musée d’Orsay, du 26 novembre 2019 au 1er mars 2020.
hottello 
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.