Photo : Jean-Louis Fernandez
Maldoror, d’après Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont, mise en scène et interprétation de Benjamin Lazar, création musicale de Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller.
Le comte de Lautréamont, alias Isidore Ducasse, naquit en 1846 en Uruguay et mourut 24 ans plus tard à Paris, au 7 de la rue du Faubourg-Montmartre. Il est l’auteur d’une œuvre d’une modernité fulgurante, Les Chants de Maldoror (1869), un livre confidentiel d’abord, puis fascinant les Surréalistes, Jarry, Henri Michaux…
Un livre d’aventures et de métamorphoses dont six chants racontent l’expérience existentielle de Maldoror, lequel « fut bon » au départ, une période relativement éphémère, à côté de celle plus longue où le même s’estime dur, méchant et cruel, à la manière de ces tristes hommes à l’humanisme absent, insignifiant et décevant.
Maldoror a aimé la femme du requin, a bataillé en « être imaginaire » avec la force d’un dragon et la faiblesse du désespoir, a disparu et est reparu selon des métamorphoses variées, avant d’affronter la mort et d’entrevoir l’arbre de la vie :
« Dans une nuit de veille, il sort lentement, l’un après l’autre, ses membres de sa couche. Il va réchauffer sa peau glacée aux tisons rallumés de la cheminée gothique… Il contemple la lune qui verse, sur sa poitrine, un cône de rayons extatiques, où palpitent, comme des phalènes, des atomes d’argent d’une douceur ineffable. Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter, par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son cœur bouleversé. »
Un monde à l’envers où la tête en bas, on s’enivre malgré soi à l’excès.
L’univers sonore – une création musicale de Pedro-Garcia Velasquez et Augustin Muller – installe une ambiance à la fois feutrée et inattendue, composée de bruits et de sons improbables – ondes marines, cris de sirène ou de baleine, vibrations.
Vol d’oiseaux, danse des animaux marins, aimantation magnétique, boucles sinueuses du python, arabesques de pieuvre, courses de requins, les images océanes de violence brute et de confrontations fatales se succèdent dans le chaos.
De ces figures, entre excès et parodie, apparaît l’image d’un héros dépréciatif et satanique, en lutte ouverte contre Dieu, porté par l’élan d’une figure épique.
Imagination rebelle, fureur ou goguenardise, des sentiments explorés à l’infini.
Maldoror, être surhumain, est un archange du Mal, luttant contre le Créateur ridiculisé, et commettant des actes meurtriers sadiques sur de beaux jeunes gens.
Les scènes sont violentes – le malheur et la méchanceté y sont permanents. Les objets – tel un cheveu -, et les animaux parlent, les métamorphoses se multiplient.
Dandy solitaire du XIX è, Lautréamont est un insoumis, saisi de rêves sauvages, n’écrivant que la nuit, assis à son piano, et déclamant en plaquant des accords.
L’image rayonnante de ces chants au milieu de la nuit silencieuse fonde l’inspiration du metteur en scène éclectique, Benjamin Lazar :
“Dans une chambre de location, les vibrations musicales d’une feuille de papier accrochée à un clou sont les prémisses d’une tempête au centre de laquelle se cache le personnage de Maldoror.”
Le comédien et metteur en scène interprète la figure héroïque obscure, sûr de son élocution claire et de sa phrase bien scandée, égrainant un beau poèmr articulé.
La scénographie d’Adeline Caron et de John Carroll soutient la verve mesurée et contrôlée de l’artiste, dont le lit de fer ouvragé d’une chambre est couvert de fleurs colorées – belle et grave couche d’un agonisant en même temps que fête florale.
Un espace de travail – un établi design et figuré – sert d’évocation d’une scène première, où, lors d’une soirée d’enfance, le père du héros lit, tandis que sa mère coud et que lui-même est en train d’écrire. Aller récupérer des ciseaux à la demande de la mère représente une entreprise pleine de péripéties et de rebondissements.
Une voile de bateau est montée ou démontée sur la scène, et l’on voit, répercutée sur l’écran du lointain proposé au regard du public, des images renversées de la réalité urbaine, un film en noir et blanc, – passages et immeubles de la rive droite – comme des régions – promenades à l’ombre des clairières sous un dais forestier.
Peu à peu, le héros se métamorphose, passant de l’homme à la femme, racontant des scènes atroces inattendues, d’un ton critique et ironique. Il brille, radieux, dans la nuit qui l’entoure, à travers son éloquence et sa propension à dire la prose poétique.
Une leçon de songes noirs à l’imaginaire débridé et rattrapé au vol par l’acteur.
Véronique Hotte
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 – Paris, du 2 au 5 octobre et du 16 au 19 octobre à 20h, le mardi 15 octobre à 19h. L’autre monde ou les états et empires de la lune, du 8 au 12 octobre.Tél : 01 53 05 19 19.