Trahison de Harold Pinter, texte français, scénographie et direction Nicolas Liautard

Crédit photo : Robert de profil

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Trahison de Harold Pinter, texte français, scénographie et direction Nicolas Liautard

 Harold Pinter (1930-2008) est dramaturge et Prix Nobel de littérature anglais, chef de file en Grande-Bretagne de ce qu’a été le « théâtre de l’absurde » – un espace pour des êtres qui se confrontent lors de batailles verbales symboliques, se servant d’un langage éloquent qui souvent leur échappe mais reste leur seul moyen d’affirmation.

L’homme de théâtre a un sens des dialogues rythmés qu’il a appris en jouant. L’humour – distance, ironie et quant-à-soi – résulte d’une observation précise des échanges quotidiens banals mais qui laissent entendre bien plus qu’ils n’avouent.

Attente, parole à la fois simple et suggestive, insistance sur les détails concrets, les dialogues de Pinter sont parfois beckettiens dans leurs résonances existentielles.

Le metteur en scène et directeur artistique de la Scène Watteau à Nogent-sur-Marne, Nicolas Liautard, s’est arrêté sur Betrayal (1978), traduit d’habitude par un pluriel –Trahisons – qu’il restitue en –Trahison – au singulier. La pièce – trio de vaudeville classique – la femme, le mari et l’amant – explore les relations complexes entre les conversations du jour, la mémoire personnelle et la réalité sociale. Entre les trois, le poids significatif du non-dit – de ce qui ne se dit pas – pèse sur les échanges.

 

Emma, galeriste d’art à Londres, a entretenu pendant sept ans une relation avec Jerry, agent littéraire : l’amour a été avoué à son mari Robert, éditeur et meilleur ami de Jerry, voici quatre ans, sans que l’amant n’ait eu connaissance de la révélation.

La pièce s’ouvre ainsi sur ce dévoilement – non pas la reconnaissance pour le mari de l’infidélité passée, mais l’aveu insolite à Jerry – l’ancien amant – qui apprend de son ex-maîtresse qu’elle avait « tout dit » à son époux, donc à son meilleur ami à lui.

Dans une chronologie à rebours, Pinter retrace les sept années du triangle amoureux, depuis la rupture finale jusqu’à la première rencontre : révélation des lignes troubles et étude serrée d’une autopsie des sentiments et non-dits amoureux.

Pour Nicolas Liautard, la structure rétrospective de Trahison oblige l’acteur à se déconstruire – une construction à l’envers lors de la représentation -, un défi jubilatoire : les flashbacks sont révélateurs d’une sensibilité autre à chaque fois.

Qu’est-ce que désigne la trahison ? Une posture déloyale, le manque de foi dans un choix, l’abandon d’un être, d’une communauté en passant à l’ennemi ? Jean Genet parle de « la trahison abjecte (… ) Celle qui est sourde, rampante, provoquée par les sentiments les moins nobles : l’envie, la haine … » (Journal du voleur)

Ici, les trahisons sont minimes et pourtant efficientes : elles traduisent d’abord un comportement égoïste et privé – tourné vers soi seul et ses petits profits du jour.

Sur un plateau vide que jouxtent latéralement deux espaces encombrés – mobilier des années 1950, tourne-disque, livres, canapé, tables et chaises, sacs de courses et bar kitch complet de bouteilles et verres de vin, bière, scotch et vodka -, trois comédiens pleinement vivants marchent, hésitent, s’assoient, se lèvent, boivent, dansent, parlent et argumentent – Fabrice Pierre en époux tranquille, Nicolas Liautard en amant fébrile et Marie-Hélène Roi en femme libre et partagée.

Tandis que résonne la musique de Lover Lover Lover de Leonard Cohen ou L.A Woman des Doors, tel comédien déplace tel meuble, transporte un accessoire ou dispose tel éclairage pour suggérer une ambiance plus feutrée. Le garçon de café à l’accent italien apporte un effet de réel comique grâce au jeu de Jean-Yves Broustail.

Les personnages sont comme chez eux sur la scène, à l’écoute des uns et des autres, faisant l’expérience de retours en arrière – des scènes temporelles bien précises – qu’ils revivent plus ou moins approximativement puisque la mémoire leur joue des tours sans qu’ils n’en prennent forcément conscience au temps présent.

Les êtres sont différents à chaque rebours chronologique, un peu plus étranges à chaque fois, plus qu’ils ne le laissaient paraître dans la scène précédente : d’infimes variations font la teneur sensorielle du temps qui passe. Quand l’épreuve n’est pas encore pleinement passée, se dégage une note d’innocence instinctivement perçue.

 

Victimes d’éraflures superficielles qui laissent souvent des traces, les « amis » cachent leur fragilité et les acteurs jouent à un jeu de cache-cache dont ils ne sont pas dupes.

Un spectacle tonique – esprit collectif et partage – dont la justesse donne le sourire.

Véronique Hotte

La Scène Watteau, place du théâtre à Nogent-sur-Marne, du 19 au 30 janvier. Tél : 01 48 72 94 94

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