Crédit photo : Héloïse Guichard
Nourritures, pièce pour trois danseurs, d’après l’œuvre d’André Gide, chorégraphie de Marie Perruchet
Les Nourritures terrestres (1897), d’André Gide sont un roman-poème initiatique à travers lequel l’auteur narrateur mêle ses souvenirs de voyages méditerranéens, ses récits d’expériences amoureuses et ses méditations philosophiques, une démarche destinée au jeune Nathanaël pour qu’il se dirige au mieux sur le chemin des sens.
Délivré par l’aisance familiale du souci de travailler, André Gide fait en 1891 ses débuts d’écrivain symboliste avec notamment les Cahiers d’André Walter. Un long séjour en Afrique du Nord (1893-1895) le révèle à lui-même – homosexualité et nécessité intérieure de communion spirituelle. D’où un étrange partage plein de souffrance avec sa cousine Madeleine Rondeaux qu’il a épousée en 1895. Les œuvres de cette époque, dont font partie Les nourritures terrestres, illustrent, à des degrés divers, le « nouvel être » de l’auteur, ce que signifie cette renaissance.
La confession homosexuelle ne se fait pas triomphante, et le style poétique de l’appel à la disponibilité sensuelle qui affleure dans ce recueil peut paraître désuet. Or, Les Nourritures terrestres de 1897 ont été la bible d’une génération à travers l’affirmation d’une personnalité à la présence un rien malséante et provocatrice.
La danseuse Marie Perruchet de la compagnie Body Double s’est emparé des mots gidiens qui composent les Nourritures pour s’en dessaisir aussitôt, le temps de quelques pas et figures, contorsions et sauts que ménagent les interprètes rigoureux.
La chorégraphie est ordonnancée avec brio et mesure mêlés – solo, duo et trio. Entre silences et musiques distillées par vagues vigoureuses qui s’amoindrissement peu à peu– Bach, Alex Liebermann, Vincent Stora et Josef Van Wissem.-, les danseurs s’isolent sur la scène puis se rapprochent de tel dans une grande proximité pour rejoindre tel autre ensuite, combinant un jeu subtil de rapprochement et de distance.
Sur le plateau, trois interprètes, Aurore Godfroy, Marie Perruchet et Nicolas Travaille. Ce dernier initie la représentation, seul et isolé, tandis que les danseuses, le long du mur du lointain, patientent dans l’attente ou bien dansent, le haut corporel dévêtu.
Les lumières de Tanguy Gauchet, entre le jour et la nuit, jouent avec facétie des assombrissements et des éclaircissements visuels et visionnaires.
Le danseur Nicolas Travaille, torse nu et cheveux longs, initie sa danse personnelle, se contorsionne et renverse son buste en arrière comme si son corps se déployait en tous sens, tentant l’impossible dans l’étirement de soi jusqu’à de folles extrémités.
Epanouissement, déploiement, ouverture physiques, la conscience de soi advient à travers des mouvements variés – avancées et pas arrière, station debout, avant de se pencher en avant, puis à la renverse dans la tentative d’une souplesse absolue.
Après la danse solo de l’homme, se glisse sur le plateau la prestation d’Aurore Godfroy qui reprend à la fois à sa manière personnelle et dans le souvenir de son partenaire masculin, une chorégraphie savante et très physique, cherchant toujours à se rapprocher du sol tout en restant sur ses deux jambes, se pliant et s’abaissant.
Dans la volonté d’épanouir au maximum un corps trop souvent retenu et empêché.
De la même façon, Marie Perruchet, aérienne, danse son solo avant de rejoindre tel ou telle partenaire. Les relations nouées entre les interprètes et leur corps – dans un esprit mutuel et réciproque – n’en finissent pas de se croiser et de traverser l’espace.
Une danse terrienne et céleste à l’intérieur de laquelle les corps crient leur présence.
Véronique Hotte
Le Tarmac – la scène internationale francophone –, le 9 décembre.
Café de la Danse – Paris XI é, les 26 et 27 janvier 2018.
Théâtre Chateaubriand Saint-Malo, le 26 mai 2018