La Fuite !, comédie fantastique en huit songes de Mikhaïl Boulgakov, adaptation, mise en scène, décor et costumes de Macha Makeïeff

 

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La Fuite !, comédie fantastique en huit songes de Mikhaïl Boulgakov, adaptation, mise en scène, décor et costumes de Macha Makeïeff

En 1928, Boulgakov remet le texte de La Fuite au Théâtre d’art, qui le lui a commandé en 1927. Soupçonné de servir la cause des Blancs, l’auteur doit reprendre son texte plusieurs fois de 1928 à 1934, avant d’aboutir en 1937, à une quatrième et dernière version, créée, de façon posthume en U.R.S.S., en 1957.

Incomprise en son temps, la pièce La Fuite « associe à la bouffonnerie du champ de foire un drame psychologique fondé sur la conscience individuelle », une tentative mystique de « s’élever impartialement au-dessus des Rouges et des Blancs.»

La pièce burlesque montée par Macha Makeïeff, est articulée en huit « songes » – des cauchemars hors du réel : une femme du peuple – monstre indistinct sous une couverture, prétendument sur le point d’accoucher -, se métamorphose en général de Cosaques. La fille d’un gouverneur et l’épouse d’un ministre font le trottoir dans les rues de Constantinople, entre Grecs et Turcs, orgue de Barbarie, décor de coupe d’immeuble populaire avec pièces diverses à vue.

La mise en scène se donne comme une fantasmagorie ludique, un songe éveillé à l’intérieur d’une boîte noire – le théâtre – dans laquelle percent toutes les couleurs suggestives – ternes ou éclatantes – en une chorégraphie savante de mouvements.

Le mysticisme est posé, voix assourdies et chœur orthodoxe, intérieur d’église monastique dans les ténèbres avec petites lumières et icônes, déplacements des ombres, des spectres renaissants, des figures traditionnelles du peuple russe.

Une verrière, structure élevée de métal et de transparence – salle d’attente de gare, au Nord de la Crimée -; lunes électriques bleutées au dehors, baies brumeuses immenses, sous les grondements du passage des trains, la scène rappelle l’imaginaire de Znorko ou de Tanguy – théâtre populaire de pantins et marionnettes.

Boulgakov plonge ses personnages dans un monde perverti par la guerre civile. Khloudov (Geoffroy Rondeau), énigmatique, est incapable de conduire son armée. Le planton Krapiline (Sylvain Levitte) condamne la cruauté de l’homme de pouvoir qui se venge : il devient une victime pendue à un réverbère qui hante son bourreau.

Le général Tcharnota (Vincent Winterhalter impliqué) est combattif, un peu fou ; de même, son double féminin, Liouska (Karyll Elgrichi) – dimension comique du drame.

Sont attachantes les deux figures poétiques Serafima (Vanessa Fonte), jeune bourgeoise pétersbourgeoise, et Goloubkov (Pascal Rénéric), auto-parodie de Boulgakov, exemplaire de l’intellectuel « à la lampe verte » dont la faiblesse profonde relève de l’impuissance irréversible à ne pas influer sur le cours des événements.

La représentation propose un univers désaxé où tout est incontrôlable, où les retournements se multiplient d’un « songe » à l’autre, et à l’intérieur de chacun d’eux.

La distorsion du réel atteint son paroxysme dans le cinquième « songe », avec l’image grotesque des courses de cafards – dérision et profanation, Le cauchemar diabolique est traversé par deux métaphores – la fuite et la course, d’un côté, et le jeu de hasard, de l’autre -, deux faces exacerbées, l’une sérieuse et l’autre bouffonne.

La fuite des Blancs face à l’avancée des Bolcheviks est, pour Khloudov, la réaction de cafards « symbolisant sur le monde parodique à la fois la fuite et la défaite ».

A Constantinople, Tcharnota joue aux cartes sa fortune entamée, il perd son bien aux courses, puis il gagne à Paris au jeu une fortune contre Korzoukhine (Alain Fomager), traître, bandit du grand commerce des fourrures, renégat de sa femme.

Après l’entracte, la seconde partie est moins tenue mais le spectacle reste un joli patchwork de théâtre vivant, fait de chaos et de ruptures, d’assemblage subtil et de grosses coutures, d’allers et retours entre genre tragique et farcesque. Fanfare,

émotion, danse, croisements des êtres et des destins, une inspiration à la Bellorini.

Véronique Hotte

Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde – 93200, du 29 novembre au 17 décembre. Tél : 01 48 13 70 00