La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Jean-Pierre Garnier

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La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Jean-Pierre Garnier

 « Je ne dis pas qu’il faille empêcher les mères d’aimer leurs petits. Je dis simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore quelqu’un d’autre à aimer », écrit Romain Gary Dans La Promesse de l’Aube.

Le narrateur et l’anti-héros du soliloque de Bernard Marie- Koltès, La Nuit juste avant les forêts (1977), ne formule pas les choses autrement quand il s’agit de répertorier les groupes qui composent notre humanité.

Gagner sa vie, travailler et rester autonome est chose difficile, surtout quand on ne trouve plus l’amour adulte qui remplacerait le premier.

Le jeune sans abri vient dans la nuit noire et sous la pluie d’aborder un autre lui-même pour parler, attiré par la nervosité de ce dos-ci dans sa manière de bouger les épaules qui ne trompe pas quant à l’authenticité et la liberté dégagée qui connotent la qualité existentielle d’un être.

Le narrateur qui se dit « étranger » reconnaît immédiatement « cette nervosité-là, qu’on ne peut pas cacher – parce que tout cela qui est la nervosité, cela vient de la mère, tout droit, et leur mère, les loulous, ils ne peuvent pas la planquer, quoi qu’ils fassent… »

Ainsi, vont les hommes dans un indescriptible chaos : les loulous, et les exécuteurs – tel son père et peut-être lui-même -, « les loubards sapés qui font la chasse aux ratons », « les raqués qui font la manche », les flics, les soldats, les politiques, tous font partie de « ce bordel » qui se réduit à un désert mental et moral extrême, surtout quand on ne veut pas travailler en usine et que les autres fils à maman – les décideurs – vous poussent toujours plus loin. Le locuteur rêve d’un syndicat international efficace car les « cons » – les êtres sans défense – vont par exemple, jusqu’à débarquer au Nicaragua alors que le travail se trouve toujours ailleurs : « tu es toujours plus étranger, tu es de moins en moins chez toi, on te pousse toujours plus loin que tu ne saches pas où tu vas… »

Comment vivre et survivre dans le désert d’une telle existence ?

La vision de Koltès est prémonitoire des flux réels des migrants actuels.

Le jeune comédien, Eugène Marcuse, dirigé dans la belle mise en scène à la fois sobre et aiguisée de Jean-Pierre Garnier, donne toute son énergie au rôle dévastateur. Courant à bout de souffle ou bien s’arrêtant net auprès des différentes servantes posées sur le plateau – des ampoules nues de lumière accrochées ou bien retombant au sol le long d’un fil -, l’acteur ne cesse d’arpenter la scène, collant son visage au faisceau lumineux ou préférant l’ombre, évitant de se regarder dans le moindre miroir alors qu’un puzzle de carreaux de miroiterie scintillante jonche justement le sol. L’acteur déclame, vocifère, tremble, met à nu sa fragilité et sa belle obstination, sa capacité puissante d’interpellation.

Il se souvient de Mama sur le pont qui l’a aimé toute une nuit avant de disparaître à jamais, et de cette jeune blonde pas trop blonde et pas trop bouclée, si belle et à la fois si brutalement félonne, raciste et fasciste.

Eugène Marcuse bataille et lutte en personnage koltésien pour la dignité.

Véronique Hotte

Le Théâtre de Poche-Montparnasse, du 8 novembre au 7 janvier. Tél : 01 45 44 50 21.

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