Sérénades – théâtre musical – livret Arnaud Cathrine, avec la collaboration de Ninon Brétécher et Anna Mouglalis, musique Vincent Artaud, mise en scène Ninon Brétécher

Sérénades théâtre musical – livret Arnaud Cathrine, avec la collaboration de Ninon Brétécher et Anna Mouglalis, musique Vincent Artaud, mise en scène Ninon Brétécher

 IMG_3655

Dans sa forme la plus ancienne qui survit aujourd’hui, la sérénade est une composition jouée sous les fenêtres d’une dame en vue de l’honorer, la divertir et la séduire. Le spectacle confidentiel se donne en soirée, selon l’origine de son nom, et non en matinée à la manière de l’aubade ; soit la forme réduite d’un concert donné la nuit en extérieur, au bas de la maison de la belle afin de lui rendre un hommage musical. L’instrumentarium de la sérénade comprend des vents auxquels se joignent contrebasses et alto qui permettent de « peser » dans le jeu, surtout en plein air.

À travers le livret d’Arnaud Cathrine que met en scène Ninon Brétécher, le compositeur et musicien Vincent Artaud joue de la basse électrique tandis que la situation classique est inversée puisque c’est la dame – objet de séduction, en général – qui s’oblige, en toute humilité et impudeur, à débiter ses Sérénades sous la fenêtre éclairée ou bien voilée, à un homme qu’elle dit avoir croisé dans l’escalier. Pour l’auteur Arnaud Cathrine, la forme musicale et poétique de la sérénade reste une déclaration d’amour : « l’un prend le risque de se déclarer à l’autre. S’en suit, dans le meilleur des cas, une histoire d’amour. » Ninon Brétécher saisit l’occasion d’une performance amoureuse pour accorder toute sa dimension morale et physique à la peine d’amour, la rupture de cœur, l’abandon sentimental et le chagrin – un instant existentiel qui détruit l’être. En Colombie, l’éconduit(e) peut, après le temps du despecho – la maladie d’amour – reconquérir l’aimé(e) en recourant aux musiciens, aux paroles et chansons, à la mélodie, seuls capables de toucher les bourreaux de cœur indifférents. Comment séduire, exercer un charme ou un attrait puissant ?

Anna Mouglalis, actrice – théâtre et cinéma -, qui interprète le rôle prémédité d’une séductrice active et vindicative, incarne la femme rêvée, audacieuse et battante, d’où s’exhale un charme puissant, « une de ces créatures qui entraînent, qui enivrent, qui ensorcellent, et qui ne vous disent ni pourquoi, ni comment. »  (Gobineau)

Au fond du plateau, un bel arbre de la création trône, les branches dessinées depuis le tronc, portant les fleurs blanches et vives des arbres fruitiers au printemps.

Anna Mouglalis, dans l’ombre des fumigènes, erre sur le plateau, répète les mêmes pas arpentés, une danse de quémandeuse obstinée, se jette à terre, bras en croix, façon Bernanos. Comment attirer, captiver et fasciner quand l’aimé refuse de se montrer dans le cadre de la fenêtre obstinément observée et que l’on geint en bas ?

Pour Bachelard, dans L’Eau et les Rêves, « le visage humain est avant tout l’instrument qui sert à séduire. En se mirant, l’homme prépare, aiguise, fourbit ce visage, ce regard, tous les outils de la séduction. »

Micro coincé à l’avant ou à l’arrière du pantalon, l’actrice déclame et lance sa sérénade, égrainant reproches et supplications d’amoureuse ardente. Sa voix posée, profonde et gouailleuse assure le goujat « malentendant » qu’elle ne se donnera pas la mort, éloignée du dépit et des images shakespeariennes à la Roméo et Juliette.

Anne Mouglalis scrute excessivement la même fenêtre éclairée dans les hauteurs, soumettant son regard ouvert aux beaux yeux bleus à une douche lumineuse cruelle. Tendue, elle ne se risque pas à jeter le moindre coup d’œil alentour ni à voyager d’un regard libre dans l’espace scénique, fuyant une destinée qui soit expressive.

Elle ne retrouve son naturel qu’au moment des saluts, et on respire avec elle.

Véronique Hotte

Le Monfort Théâtre, du 6 au 10 octobre.