Et le Diable vint dans mon coeur, mise en scène et dramaturgie Alexis Moati

Crédit Photo : Julien Piffaut

Et le Diable vint dans mon cœur…, mise en scène et dramaturgie Alexis Moati
ETLEDIABLE_89B7119©JulienPiffaut
En 2010, Alexis Moati met en scène Peter Pan, ou le petit garçon qui haïssait les mères, adaptation par Andrew Birkin de la célèbre pièce de J.M Barrie, et en 2013, Petites Sirènes d’après H.C. Andersen. Quant à la création présente, Et le Diable vint dans mon cœur … , c’est le dernier volet de cette trilogie axée sur la recherche de la fin de l’enfance, créé à l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône où l’artiste et sa compagnie « Vol Plané » sont accueillis en résidence.
À travers un regard rivé sur l’adolescence – cet état incertain entre l’enfance et l’âge adulte –, le spectacle Et le Diable vint dans mon cœur… pose, selon le metteur en scène, la question de la transformation, « celle des êtres mais aussi celle d’une époque qui a du mal à finir pour que naisse quelque chose de nouveau. »
L’adulte réconcilie-t-il l’enfant avec l’adolescent ? L’enfance est l’âge de l’obéissance, l’adolescence celui de la révolte contre l’ancienne autorité – une façon de se construire – et l’âge adulte, le temps de l’autonomie – la découverte de la profondeur de la raison en soi, capable d’examiner avant de décider, accepter ou refuser.
Rien ne semble plus favorable à la scène que cette mise en demeure ultime, un processus qui passe « naturellement » par une succession de métamorphoses, spectaculaires et démonstratives ou bien infiniment repliées intérieurement.
La forme théâtrale choisie est une enquête conférence déjantée, élaborée à partir d’ateliers de recherche et de création, menés à Chalon-sur-Saône mais aussi à Gap, à Valréas, à Marseille, et dont les adolescents ont inspiré l’écriture du spectacle.
Dans la scénographie ouverte de Thibault Vancraenenbroeck, l’espace collectif s’impose – neutralité d’un gymnase, salle de classe, espace de jeu dont les vestiaires surélevés en fond de scène donnent au motif de la penderie toute sa dimension symbolique, ludique ou obsessionnelle, relative à cet âge ingrat au cours duquel on cherche les chiffons à porter qui siéent le mieux, à tout moment du jour, car on est en quête d’une silhouette juste et conforme avec son propre « ressenti ».
Autant parler de désordre et de capharnaüm que les instants de fête intensifient.
Les porte-manteaux à vue sont égayés d’une galerie hétéroclite de vêtements colorés de teenagers, baskets et sacs de sports, que les interprètes ne cessent de jeter ou de s’approprier, aux prises avec leur corps encombrant qu’ils maltraitent.
Le corps est bien ce qui envahit l’existence, sortant maladroitement de sa chrysalide.
Le geste de se vêtir et se dévêtir, efficace mais vain scéniquement à force de se répéter, nourrit le catalogue des situations égrainées, lors de la représentation.
D’un côté, se déclinent les relations houleuses avec les adultes – les parents ou la mère, et les professeurs lors d’une séance de philosophie ou de danse ; et de l’autre côté, se succèdent les compagnonnages passionnés des jeunes avec leurs pairs, garçons et filles goûtant avec un plaisir mêlé d’amertume les premiers émois de l’amour, et la passion d’éprouver le monde dans une relation de partage.
Quelques scènes n’échappent pas à une complaisance facile, proche de la beauté mièvre des photos adolescentes de Hamilton, comme la jeune fille longiligne et fragile dénudée, debout dos au public qu’une demoiselle aux cheveux longs rhabille.
L’inventaire des « premières fois » déroule son cliché un peu longuement.
Quant aux images finales de défilé de mode parodié, elles passent avec insistance. Les acteurs se présentent face public, brandissant des habits miniaturisés d’enfant.
L’écart, le décalage des mesures et des dimensions se révèle impressionnant.
Et sept acteurs de vingt-sept à quarante-sept ans – Fanny Avram, Carole Costantini, Léna Chambouleyron, Sophie Delage, Pierre Laneyrie, Chloé Martinon et Charles-Éric Petit – incarnent ces drôles d’ados pleins d’allant dans leurs rires et leurs coups de gueule. Ils jouent les profs lors d’un conseil de classe, et tous retrouvent avec le temps qui passe, les places imparties jadis aux adultes qui les précédaient.
Et cette belle énergie juvénile – souffle, engagement et sincérité absolue -, gagne sa dignité : « plus tard on voit les choses d’une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose », écrit Proust (A l’ombre des jeunes filles en fleurs).

Véronique Hotte

Espace des Arts, Scène nationale– Chalon-sur-Saône, du 27 au 30 janvier
La Passerelle, Scène nationale de Gap et des Alpes du Sud, le 13 février
Théâtre du Gymnase, Marseille, du 26 au 28 mars.

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