Diptyque Agnès hier et aujourd’hui – Agnès de Catherine Anne et L’École des femmes de Molière, mise en scène de Catherine Anne

Crédit photo : Bellamy

L'École des femmes

Diptyque Agnès hier et aujourd‘hui – Agnès de Catherine Anne, L’École des femmes de Molière, mise en scène de Catherine Anne

 

L’École des femmes (1662) de Molière a trois cent cinquante ans, et Agnès (1994) de Catherine Anne a vingt ans, deux pièces que l’auteure astucieuse d’aujourd’hui choisit de mettre en regard, à travers une interprétation scénique exclusivement féminine.

Certes, l’une et l’autre intrigue n’ont rien en commun pour ce qui est de l’époque et du cadre  sociologique. M. de La Souche, appelé communément Arnolphe, aimerait passer du statut de bourgeois à celui de gentilhomme ; le père d’Agnès assume de son côté son statut de travailleur indépendant, commerce et comptabilité.

Intimement et moralement, le XVII é, vu par Molière, met en avant la suprématie du pouvoir magistral paternel tandis que la fin du XX é, via le regard de l’auteure d’Agnès, a vécu les prémisses et l’amorce d’une véritable émancipation féminine, quant au pouvoir des hommes en général, et celui du père en particulier.

Ce qui rapproche irréversiblement les deux œuvres de théâtre, c’est la posture paternelle abusive face à la très jeune fille, à l’intérieur du microcosme familial : la fille adoptée pour l’Arnolphe moliéresque et la fille aînée pour le père d’Agnès. Par-delà les générations, dans le déni des mères rivées à leur foyer, les pères s’approprient leur propre fille, comme compagne et partenaire de sexe.

Cette usurpation brute des rôles symboliques apparaît en filigrane dans la comédie de Molière puisque le barbon qui voulait épouser son orpheline ne parvient pas à ses fins ; il se heurte en échange, à la suprématie du jeu du désir chez sa protégée et son jeune amant, comme à la sagesse des autres pères plus dignes. Dans la pièce contemporaine à connotation tragique mais qui finit bien, la situation réaliste d’Agnès dans la violence et la brutalité physique est appréhendée plus concrètement : la petite fille de douze ans est violée régulièrement par le père incestueux.

Elles sont trois comédiennes à interpréter les âges différents de la victime – Morgane Arbez, Caroline Espargilière et Mathilde Souchaud – pour la mise en lumière des états d’âme douloureux de la fillette à l’adolescente et à l’adulte mature devenue avocate, entre humiliation et oppression. La jeune fille raconte à ses amis garçons qu’elle n’était que « la fille de joie » ou « la pute » de son père, une identité faussée dont elle souhaite s’affranchir pour éprouver enfin son être authentique révélé.

Autour d’un castelet de bois avec escalier et terrasse élevée, un rez-de-chaussée qui laisse apparaître une pièce d’appartement avec sa fenêtre guillotine et une porte tambour que traversent tous les personnages dans des allers et retours incessants, des déplacements et une mobilité intense, rien ne se passe finalement et ne se laisse découvrir : les horreurs s’accomplissent dans l’ombre ou à l’extérieur, à l’insu de tous.

Le public enrôle le costume du témoin impuissant qui constate l’inacceptable et tente de comprendre. Toutes les comédiennes sans exception – dont Évelyne Istria – jouent avec une belle évidence les complexités de l’existence et se coulent dans les rôles masculins avec modestie et bravoure. Quant à Marie-Armelle Deguy, elle est l’astre noir autour duquel les autres protagonistes tournent, qu’elle soit le père dans Agnès ou bien Arnolphe dans L’École des femmes, elle rafle la mise, sûre de son geste d’engagement et de la cause féminine qu’elle défend. En même temps, très féminine et masculine, elle met à bas les préjugés sur lois approximatives du genre.

Un spectacle d’aujourd’hui en résonance extrême avec tous les temps.

Véronique Hotte

Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 rue Simon Dereure à Ivry. Du 6 janvier au 2 février 2014, en alternance en semaine à 20 h sauf le jeudi à 19h, ou en intégrale le dimanche à 15h et 18h.

Tél : 01 43 90 11 11