Trilogie chypriote – Passa tempo, Disparu, La Maison – de Aliye Ummanel, traduit du turc (Chypre) par Selin Altiparmark, éditions L’Espace d’un Instant, 2024.

Trilogie chypriote – Passa tempo, Disparu, La Maison – de Aliye Ummanel, traduit du turc (Chypre) par Selin Altiparmark, éditions L’Espace d’un Instant, 2024.

A l’occasion du cinquantième anniversaire de la partition de Chypre, paraît Trilogie chypriote de Selin Altiparmark.

Passa Tempo évoque les séquelles laissées par la guerre sur une mère et son fils, blessé avant même sa naissance, d’un père mort à la guerre…Un instantané d’une vie coincée entre passé et présent. L’auteure interroge le conflit entre deux générations : la première qui a vécu la guerre, et la seconde qui, à défaut de l’avoir vécue, en subit les effets. La guerre est finie depuis bien longtemps déjà, mais son impact est toujours présent.

Dans Disparu, le père a été tué à la guerre et son corps n’a pas été retrouvé. Sa femme, son père  et son fils vivent ensemble. Sont visibles les traces que la guerre a a laissées sur la famille. Le fils n’a pas directement vécu la guerre mais en a malheureusement hérité; d’une certaine manière, il fait partie d’une génération perdue… Répétant Hamlet avec une équipe de théâtre, il s’interroge sur la vie, la guerre, l’héritage culturel et familial.

La Maison raconte le drame que vivent les différentes familles qui ont vécu dans la même maison, que certaines ont dû quitter en quelques minutes, s’exilant en laissant tout derrière elles à cause de la guerre. Une grand-mère visite avec sa petite-fille la maison où elle a grandi. Depuis son départ, elle n’a pu la visiter, les frontières entre les deux pays étant fermées. Elles rencontrent les nouvelles habitantes de la maison, installées là dans le contexte de la guerre, après le départ de la grand-mère et sa petite-fille. La Maison pose la question de la propriété et de l’appartenance: « A qui appartient cette maison ? »

Aliye Ummanel est née en 1979 à Chypre. Elle étudie la littérature et la civilisation américaines à l’université de Hacettepe, obtient un diplôme en théâtre et dramaturgie à l’université d’Ankara, participe à un programme d’étude sur la mise en scène, à Londres.

En 2004, elle travaille comme dramaturge et metteuse en scène au Théâtre municipal de Nicosie, en République turque de Chypre du Nord; elle en est la directrice artistique, de 2017 à 2021. Après des travaux dramaturgiques sur Aristophane et Steven Berkoff, elle monte des pièces de Catherine Anne et de Harold Pinter, et ses propres textes.

Poète, elle publie des recueils de poésie : Rêve en pensant au soir et Le Puits. Elle dirige la revue « L’homme, le temps, le lieu » (Association des artistes et auteurs turcs de Chypre).

« Que cela soit dans ses pièces courtes ou dans ses poèmes, Aliye Ummanel prend le parti de provenir d’un « lieu » et de construire un « instant » qui prend racine dans l’existence: cet « instant », pour échapper au poids de son importance primordiale, justifie sa raison d’être à travers la reproduction d’un temps autre. C’est pourquoi il n’est pas question dans le travail d’Aiiye Ummanel de se nourrir de la mémoire, mais d’éroder la mémoire. Ce texte a une approche concise et un souffle profond, il n’est pas consumé dans une observation d’urgence, il contient un processus en résonance avec une réflexion intérieure vouée à s’épandre.

La relation hélicoïdale qu’elle construit, partagée entre l’expression, le monde onirique et l’image abstraite, en faisant augmenter la tension entre l’émotion et le mental et en interrompant la pièce en pleine représentation, aboutit à une guérison collective. Il est bien sûr nécessaire que ce genre de pièce brève soit vu dans un lieu de transit, car le spectateur n’est pas l’observateur de cet « instant », mais il y participe. Cette pièce remettant à jour une critique politique radicale ne peut être qualifiée que de courageuse et devrait s’inscrire dans les annales de notre époque. Il est important que les victimes de guerre réduites à des produits politiques – à travers un dévouement qui sacralise presque la guerre – soient aussi mises en scène dans une perspective intellectuelle. » (Ümit Ïnatçi.)

Une oeuvre à explorer, en résonance immédiate avec l’état bouleversé d’un monde incohérent.

Véronique Hotte

Trilogie chypriote – Passa tempo, Disparu, La Maison – de Aliye Ummanel, traduit du turc (Chypre) par Selin Altiparmark, éditions L’Espace d’un Instant, 2024.