Vaudou: (3318) Blixen – Trilogie des funérailles (1) de Angélica Liddell, traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot, Les Solitaires Intempestifs, 2024.

Vaudou: (3318) Blixen – Trilogie des funérailles (1) de Angélica Liddell, traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot, collection Domaine Etranger, théâtre, Les Solitaires Intempestifs, 2024.

En 1993, Angélica Liddell fonde à Madrid la compagnie Atra Bilis – expression latine que la médecine antique utilisait pour qualifier l’humeur épaisse et noire vue comme la cause de la mélancolie. Un nom-programme décliné dans une vingtaine de pièces écrites par cette artiste, auteure, metteuse en scène et interprète de ses propres créations. Ses mots, d’une poésie crue et violente, sont ceux de la souffrance intime et collective, l’une et l’autre étant indissociables chez Angléica Liddell. Mais ne lui parlez pas d’engagement: elle préfère se définir comme une « résistante civile », guidée par la compassion, l’art de partager la souffrance.En écrivant sa douleur intime, elle décrit celle des autres. Et parce qu’elle affirme ne pas se considérer comme un écrivain, ou parce que les mots ne sont pas toujours à la hauteur de l’horreur, la scène est le lieu idéal pour lui donner corps. Un corps parfois soumis à rude épreuve, malmené, violenté, tourmenté jusque dans sa chair.

Son oeuvre en France, publiée aux Solitaires Intempestifs, est admirablement traduite par Christilla Vasserot.

Vaudou: (3318) Blixen est un poème d’amour et de sacrifice – vengeance, rituel, poésie, funérailles ; la deuxième partie est créée au Festival d’Avignon 2024. La pièce fut créée en Espagne, au Teatro de Sait de Gérone, au festival Temporada Alta le 18 novembre 2023, et présentée au Centro de Cultura Contemporanea Condeduque les 10 et 11 février 2024.

« Au lieu de démembrer des enfants, j’écris », telle est la phrase qu’Angélica Liddell utilise pour présenter son nouveau texte. Une véritable déclaration d’intention qui exprime parfaitement la vision terrible du monde que cette artiste a eue au cours de sa carrière.

Vaudou conte l’histoire d’un pacte avec le diable. L’astéroïde 3318 Blixen a été découvert le 23 avril 1985 à l’observatoire de Brorfelde au Danemark, nommé ainsi en hommage à la baronne Karen Blixen, plus connue sous son pseudonyme d’écrivain Isak Dinesen.

La pièce est composée de cinq parties :

  • I –  Ne me quitte pas: Crève, Il a fallu que mon père meure, La mort avait ses yeux, Que celui qui croit en l’enfer me dise Amen, La chienne Nefertiti.
  • 2- L’heure est venue: Ce ne fut pas une belle histoire,.
  • 3 – Astéroïde (3318) Blixen.
  • 4 – Noël, Madrid, 2022:  Entre des monceaux et des monceaux d’ordures, Vu le retard de l’aîné, Voyant que le petit ne donnai toujours pas signe de vie, On raconte que dans l’Antiquité, Pressentiment, Alors un pied a surgi, Hélas, tes bras, Que pouvais-je faire d’autre ?, Comment l’amour pouvait-il être une chose tellement réelle ?, Le poids du monde, 
  • 5 – J’en appelle à la mort.

En exergue à la quatrième partie, une citation de Goethe: (La fiancée de Corinthe):

Beau jeune homme, tes jours sont comptés/ Tu vas maintenant mourir de langueur en ce lieu. / Je t’ai donné ma chaîne. / J’emporte avec moi une boucle de tes cheveux./ Regarde-la bien !/ Demain tu auras blanchi, / et là-bas seulement tes cheveux redeviendront noirs.

S’inspirant de Karen Blixen qui prétendait que sa maladie était le prix à payer pour son art, Angélica Liddell explore le pouvoir de la vengeance et des rituels à travers une poésie tragique: un itinéraire fatal vers ses propres funérailles…

Où est donc l’oeuvre promise ? Où sont les rimes en échange de mon bonheur ? Veux-tu bien me le dire ? Cette oeuvre dont le prix est si élevé ne devrait-elle pas égaler en beauté la fiancée de Corinthe ? Si mon âme était si pauvre, à quoi bon faire preuve d’une telle cruauté ? Pour écrire ces maudites pages, le sacrifice d’un boeuf ou d’un agneau aurait suffi !

Karen Blixen a promis son âme au diable et en retour le diable lui a promis que tout ce qu’elle vivrait et expérimenterait à partir de de moment-là deviendrait une histoire.

Mes vengeances sont des rites, des sacrifices esthétiques sur l’autel de l’incompréhensible. L’écriture peut être immorale parce qu’elle a la même influence que les rêves. Rien de ce que je dis ne me réparera à part le rite. Quand le mal se traduit en esthétique, le mal réel disparaît en même temps qu’il nous complète. (Angélica Liddell).

Ou bien, en guise d’épilogue : Qu’on utilise la peau de mes fesses pour relier une bible. Je ne serai pas plus dépecée après ma mort que de mon vivant. Je félicite ceux qui ont joui de m’humilier. Grâce au mal qui m’a été infligé, ma méchanceté a galopé sans trêve, avec l’inconscience d’un pur-sang. Tous ceux qui m’ont humiliée m’ont donné un super-pouvoir. 

De chacune de mes blessures j’ai tiré une force. Sans vos coups de fouet je n’aurais pas été Angélica. Angélica n’aurait pas écrit un seul mot sans la rage. Bientôt le feu effacera toutes les injures. Imaginez mon cerveau en train de bouillir dans le four du crématorium comme le cerveau des sorcières, comme il a bouilli grâce à votre mépris. N’oubliez pas de glisser un livre de Baudelaire dans la poche de mon linceul. Je veux que les cendres de mes os se mêlent aux cendres de ses poèmes. Je veux un livre avec de vertes vallées, et de hautes montagnes, aussi hautes que Marguerite Duras… (Angélica Liddell).

Elan et fougue, la volonté invulnérable de l’artiste, « sorcière maudite », cible mieux et toujours plus loin l’efficacité d’une création scénique à laquelle on ne reste pas indifférent.

Véronique Hotte

Vaudou: (3318) Blixen – Trilogie des funérailles (1) de Angélica Liddell, traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot, collection Domaine Etranger, théâtre, Les Solitaires Intempestifs, 2024.