Diari d’amore – d’après Fragola e panna et Dialogo de Natalia Ginzburg, mise en scène Nanni Moretti, à L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

Crédit photo : Luigi De Palma.

Diari d’amore – d’après Fragola e panna et Dialogo, texte Natalia Ginzburg, mise en scène Nanni Moretti, scénographie Sergio Tramonti, lumières Pasquale Mari, costumes Silvia Segolini. Avec Valerio Binasco, Daria Deflorian, Alessia Giuliani, Arianna Pozzoli, Giorgia Senesi.

Pour sa première mise en scène de théâtre, le cinéaste Nanni Moretti s’arrête sur Natalia Ginzburg  et ses histoires de familles disharmonieuses, des êtres « sans consistance morale », faibles et passifs. Natalia Ginzburg révèle dans l’ironie des scènes d’intimité domestique où le conflit se heurte à l’indifférence, dévoilant une fatuité inepte face à l’émotion et aux valeurs humanistes.

L’auteure joue avec la morale hypocrite chère à la bourgeoisie: le mariage, la fidélité, la maternité, l’amitié devenus des valeurs futiles, soit la légèreté comme regard assumé sur le monde, les événements de la vie des protagonistes n’étant que les péripéties d’une profonde comédie prête à basculer dans la tragédie. Ainsi, l’Inconsistance des personnages dans une société d’indifférence – miroir de nos vies tendu par cette oeuvre dont Nanni Moretti se saisit vivement.

La représentation se décline en deux tableaux,  Fragola e panna(1966) et Dialogo(1970). Dans Fragola e panna , la scène a lieu de nos jours, dans une maison de campagne, où vivent Flaminia et Cesare, avec la servante Tosca. L’avocat est absent, et surgit dans cette quiétude bourgeoise, face aux deux femmes, la jeune Barbara qui a quitté mari et enfant pour rejoindre son amant Cesare… Dans l’attente du retour du maître de maison, trois femmes prennent soin de la fugueuse: la maîtresse des lieux lui offre argent et repas, sa soeur Letizia l’accompagne dans un couvent de religieuses pour quelques jours de refuge, et la servante Tosca la prend en pitié.

Ce domicile familial, profané par une étrangère, connaît de petits conflits sans conséquence pour les habitants que ne dérange en rien l’ordre établi, amers et clos sur eux-mêmes, en dépit des provocations extérieures qui pourraient justement les bousculer et les ouvrir enfin au monde. La vie se poursuit, au rythme des désirs et des enthousiasmes du maître représentant du patriarcat.

Quant à Dialogo, une pièce comique, elle donne à voir le couple Francesco et Marta, encore au lit de bon matin, et en discussion ininterrompue sur les petites affaires du quotidien, sans conséquence jusqu’à ce qu’affleure dans les propos de l’épouse une trahison amoureuse – un amour coup de foudre pour le vieil ami écrivain de l’époux, ce qui n’éprouve pas le mari trompé. 

A la fin, l’ordre est retrouvé : l’amant volage  part avec sa femme légitime, ce qu’apprend la maîtresse par le biais d’une lettre; le fuyard laisse même leur chien à garder. Rien ne saurait perturber la tranquille routine installée chez ces protagonistes quelque peu perturbés pourtant.

Un théâtre dans la tradition du vaudeville sans invention scénique contemporaine mais avec de la vigueur. Dans Dialogo, un époux reproche à sa femme ses jambes tordues alors qu’il fait l’éloge de la femme de son ami, qui, semble-t-il dire, est si belle, si gracieuse: indélicatesse ou grossièreté. On trouve ce machiste un peu trop sûr de lui quand sa femme ne rétorque rien, plutôt conciliante et passive : on apprendra, du reste, qu’à cette domination masculine elle a su résister de son côté.

Dans Fragola e panna, la condition féminine a maille à partir avec l’ordonnancement social :l’une est maîtresse de maison mais vit seule, silencieuse, jouant du piano, vaquant à ses occupations de dame cultivée et laissant son époux à ses frasques de séducteur qui ne fait jamais amende honorable, mais au contraire accumule ses victimes en les abandonnant à leur tour, lassé. L’autre, la servante, ne supporte pas qu’on l’appelle « Madame », ne se sentant que domestique. La jeune amoureuse vogue d’un milieu à l’autre, ne consentant plus aux carcans sociaux ni aux obligations familiales. Où sont les émancipations féminines, les libérations des assignations désuètes ?

Un ancien monde qui rôde encore aujourd’hui, à cinquante ans d’écart: petits arrangements et compromissions des consciences – calculs infimes et désirs cachés assouvis précipitamment.

Ambiance empesée à la fois corsetée et délétère pour la mise a bas présagée des hypocrisies.

Véronique Hotte 

Du 6 au 16 juin 2024 à L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet 75009 – Paris.